Commentaires et Témoignages sur Robert GAMZON

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Actions  de Robert GAMZON dit CASTOR, créateur des Eclaireurs Israélites de France en Algerie,

Par Robert SHAPIRO

https://www.cairn.info/revue-revue-d-histoire-de-la-shoah1-1997-3-page-26.htm

Après la défaite, les EI restés libres et en zone sud se regroupent autour de Castor. Après quelques péripéties et quelques mois, il est décidé d'envoyer un responsable prendre en mains le destin EI en Afrique du Nord. Pourquoi moi ? On me juge apte !... et je suis le seul volontaire (ce qui m'ahurit).

10Avant de partir j'ai le tort de négliger un préalable : ma nomination formelle au grade de Commissaire régional. Celle-ci me parviendra plus tard pour mettre fin à des difficultés. Un des responsables de Moissac n'a pas, en effet, réalisé la spécificité géographique et séfarade de l'Afrique du Nord et entend diriger cinq provinces directement liées à Moissac.

11Cela aura relativement peu de conséquences avant la Libération du territoire national, mais après...! nous y reviendrons.

12Mais surtout, mes ordres de mission officiels ont été suffisamment explicites pour les Autorités et le Scoutisme français, les seuls éléments vraiment fondamentaux.

13En février 1941, je pars donc avec Bouli qui me présente à Alger, Oran, Tunis et me laisse seul à Alger avec ma valise, mes économies et ma sacoche.

14C'est dans une ambiance de défaite nationale et de pétainisme que le Mouvement va littéralement exploser dans le Maghreb.

15En 1939, d'après les archives, il y avait 300 à 400 EI dans 7 implantations.

16Après la défaite un bouillonnement anarchique et dangereux s'est manifesté, ce qui a décidé de ma mission.

17Le 8 novembre 1942, 19 mois après mon arrivée, lors de la libération par les Anglo-américains nous étions :

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  •  implantés dans 30 à 40 localités,
  •  avec un effectif de 5 000 à 6 000 EI dont plusieurs centaines de chefs formés.

19Les statistiques sont imprécises, faute de savoir si, suivant les cas, on compte ou non les filles de la FFE, les EI qui ont ou ceux qui n'ont pas payé leurs cotisations, les villes en création ou celles qui sont stoppées faute d'un encadrement suffisant, si l'on compte ou non le Maroc, la Tunisie, les comités d'Amis, les Ateliers, etc.

20Mais ce scoutisme, aux effectifs multipliés par 15 ou 20, en un peu plus de 6 trimestres, même s'ils nous ont semblé longs, est un scoutisme remarquable par ses qualités mentales, physiques, techniques, et bien entendu juives.

21Il est décrit rapidement dans un article de Gérard Israël (Perruche) en 3e page de couverture de la Brochure EI “L'Aventure EI, c'est la vie”. Notre si regretté Manitou avait également en 1947 écrit des choses émouvantes sur nos camps de formation. Mais, en dehors de notre propre cadre, nos ennemis espéraient des critiques par le scoutisme français, contrôleur de notre qualité, et ils n'en ont jamais obtenu.

22Heureusement, je m'étais vite aperçu que je n'étais pas vraiment seul, et je dois rendre ici quelques hommages :

23

  •  à Pariente et Coriat puis à Benguigui à Oran,
  •  à Clément Tibi et Strauss à Tunis,
  •  à Yvette Calamaro, Puk actuellement Mme Feyman à Casablanca, à l'époque,
  •  à Antares, Mme Schemla puis Haït à Alger, à l'époque,
  •  à Willy Katz (Hulotte Volubile), à Alger puis Oran et au Secrétariat régional beaucoup.

24Enfin à Robert Munnich que j'étais allé pressentir à Toulouse – qui est arrivé de France dans l'été 1941 après que je l'ai attendu d'une attente qui m'a semblé longue et qui a accepté ma proposition de s'installer à Constantine et de diriger cette province EI.

25Et, bien sûr, il faut rendre hommage aussi à des tas d'autres bonnes volontés, dont d'anciens EU et EDF qui ont été précieux, et a des tas d'amis non scouts.

26Quant à moi, je ne serai pratiquement connu de la majorité des EI que sous mon nom totémique abrégé Rhino...

27Maintenant, il me faut vous décrire avec qui et comment nous avons travaillé :

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  1. avec et dans la population juive,
  2. avec l'administration dont dépendent notre survie collective et nos sécurités individuelles,
  3. avec la société civile, arabe et chrétienne,
  4. enfin avec le scoutisme français qui sera notre vitrine légale et notamment son responsable officiel, le Chef SDF, Carré qui, il faut bien le dire, sera de plus en plus réticent au fil du temps,
  5. bien entendu, ensuite, nous verrons comment nous nous sommes débrouillés dans tout cela.

29J'illustrerai mon récit par quelques flashes, des instantanés illustrant mieux que des récits théoriques ce qu'étaient certaines situations.

30Je ne vous encombrerai d'aucun détail sur la technique scoute pour insister sur notre action de protection de nos jeunes y compris leur mental juif, humain et français.

311) La population juive est de culture et d'ambiance séfarades mais le fait est que moi, ashkénaze, peut-être parce que je les ai aimés, compris, et qu'ils ont bien voulu m'adopter, je n'ai pas senti l'ombre d'un problème avec eux à part quelques anecdotes. Robert Munnich m'a dit la même chose et Willy Katz aussi.

32Cette population très répartie est très structurée autour de ses rabbins locaux que je n'aurai presque jamais le temps de rencontrer. Leur enseignement est de type répétitif avec sanctions corporelles mais il est relativement efficace pour le maintien de la tradition. Je note surtout l'existence très positive des consistoires locaux en Algérie, des conseils de communautés dans les deux protectorats. Ils sont composés d'hommes responsables qui seront en général plutôt heureux de nous voir arriver pour les aider quant à leurs problèmes de Jeunesse, voir aussi quant à leurs problèmes de mal vivre sous Vichy.

33Avec les trois grands rabbins d'Algérie mes rapports sont de deux types.

34À Oran, le grand Rabbin Ashkénazi a été très accueillant. Son fils, notre si regretté “Manitou” a beaucoup apprécié son complément de formation chez nous et a écrit là-dessus des choses émouvantes dans nos journaux.

35À Constantine avec le grand rabbin Meir Jaïs, futur grand rabbin de Paris, j'ai noué des relations presque amicales qui se poursuivront.

36À Alger, le grand rabbin Einsenbeth, ashkénaze alsacien est plus réservé.

37Les communautés sont traumatisées, leurs membres sont dénationalisés, chassés des administrations où ils étaient nombreux. Les jeunes réagissent vivement mais dans le désordre et courent des risques. Les uns sont maréchalistes et le chantent, d'autres optent pour le sionisme notamment au Betar, d'autres veulent créer des groupes d'autodéfense, etc.

38Mais pour tous, l'angoisse est là. Plus tard, vers mars-avril 1942, l'UGIF va s'organiser en Algérie. Je refuserai de toutes manières d'en être mais en fait, seuls les autochtones doivent être retenus. Le débarquement allié du 8 novembre 42 réglera le problème. En attendant, les EI sont dissous et subsistent comme quatrième direction de l'UGIF sous contrôle du Secrétariat d'État à la Jeunesse et du Scoutisme français, j'en reparlerai tout à l'heure. Mais en fait, je réussis à éviter à tous les échelons locaux quelque perturbation que ce soit.

392) Avec l'administration nos rapports revêtent une importance vitale étant donnée l'époque. Ils occuperont une bonne part de mes activités.

40Dans les trois pays la forme est différente mais le gouverneur général de l'Algérie, les résidents généraux aux Maroc et en Tunisie sont en fait tout puissants surtout en Algérie où n'existe aucun contre-pouvoir. L'antisémitisme est très répandu mais veut l'être “dans l'ordre”. On ne peut cependant oublier les progroms de Constantine en 1934 avec des dizaines de morts en deux à trois jours, les forces dites de l'ordre étant présentes et notamment le neuvième régiment de zouaves restant inerte !

41Heureusement il y avait des exceptions, des bonnes volontés, et je tiens à citer le capitaine Coche chargé des problèmes de Jeunesse. Il sera plus tard général.

42Chose étonnante, il n'y avait pas en Algérie d'hostilité antijuive “officielle” et maintenant voici le premier flash.

43Le 16 juin 1941, en réponse à des cérémonies “aux morts” qui oublient les morts “juifs” de la guerre, j'obtiens à Alger le grand Temple Abraham Bloch. Il y a plusieurs centaines de places on m'a dit 1 000 et nous organisons un hommage aux EI et à tous les Juifs qui sont “morts pour la France”. Le temple est plein, les haut-parleurs dans la rue diffusent pour ceux qui n'ont pu entrer.

44Mais surtout j'avais invité toutes les autorités et j'avais très peur d'un échec, présage dangereux. Or, tout le monde était représenté : le gouverneur général, le préfet maritime, le commandant des troupes, les autorités de polices, les autres fédérations scoutes, etc. C'est notre rabbin de la Jeunesse dont nous avions récemment obtenu la nomination, le rabbin Morali qui a officié.

45En ce qui concerne les autorités locales, j'ai noté une double évolution quant à l'antisémitisme au fil des temps.

46Tout d'abord un durcissement non seulement avec le temps et l'action de la propagande mais surtout avec l'organisation des SOL, le Service d'Ordre Légionnaire qui fut l'antichambre de la Milice.

47Par ailleurs, une réflexion plus approfondie était déclenchée par les échecs allemands successifs en URSS même si ce n'était pas encore Stalingrad et je voudrais maintenant citer un second flash.

48Le sous-préfet de Mostaganem décourage nos chefs locaux et veut empêcher le fonctionnement du groupe local ; il les accuse de troubles à l'ordre public, leur reproche des problèmes d'hygiène etc, etc, tout ce que peut inventer l'esprit de parti pris.

49Je lui rends visite et lui tient le raisonnement suivant que je crois vrai et que je tiendrai souvent :

50D'abord, je lui dis que le décret Crémieux n'est pas du tout un cadeau fait aux Juifs mais une aide à l'implantation française en Algérie et que personne n'a le droit d'oublier cela.

51Et deuxièmement, je lui rappelle que la guerre n'était pas forcément gagnée par l'Allemagne. Si la guerre n'était pas gagnée par elle et que des troubles apparaissaient, quel serait le sort de la colonisation française isolée, et éventuellement le sien propre ? Le fait est que le groupe a pu à partir de cette date-là, fonctionner normalement.

52Enfin en 1942, un problème spécialement dangereux a concerné Robert Munnich. Soit à la suite d'imprudence, soit par des mesures d'espionnage, il a été repéré par Le Pilori, le plus antisémite des journaux antisémites. Les rapports locaux sur lui dans l'administration ne lui sont pas favorables. Je ne les ai pas vus mais mes contacts me l'ont dit. Je fais ce que je peux pour lui éviter l'arrestation et le transfert en France pour Résistance.

53Finalement, je suis convoqué par le gouverneur général, Chatel, chef tout puissant et je le répète sans aucun contre-pouvoir. Il me fait asseoir devant son grand bureau je décris notre action, notre action scoute, notre action pour la France, l'absence de tout fait insurrectionnel de notre part. Je n'ai pas besoin de lui montrer nos publications car il semble au courant. Je nie que le salue “Louveteau” (bâtisseur) soit le “V” de Churchill en montrant les manuels des autres fédérations scoutes, etc. Je réponds à toutes ces questions.

54À la fin de l'audience il se lève, me raccompagne à la porte ce qu'il n'était vraiment pas obligé de faire, me serre la main en me disant, vous êtes courageux M. Schapiro. J'ai décodé comme suit : un danger vous menace mais votre action, celle de votre mouvement me semble positive et sauf fait nouveau, vous n'aurez plus d'ennui. Et c'est ce qui s'est passé pour Robert Munnich et le reste du Mouvement jusqu'au débarquement allié. Il est normal de lui en donner acte.

55En novembre-décembre 1941. les EIF sont dissous au Maroc par les autorités. Ils continueront à fonctionner au moins partiellement sous couvert d'unité juive des EDF et de la FFE et j'aurai un échange de correspondance avec un EDF Lévy Lebhar et une correspondance d'ailleurs anodine anticensure avec Peuk puis une correspondance en tant qu'EIF après le débarquement allié mais là... je suis proche de mon propre départ aux Armées.

56En Tunisie, les EI sont dissous vers février 1942. Ils continuent à se réunir en cercles d'études ou sorties en civils. Après le débarquement allié du 8 novembre 1942 au Maroc et en Algérie, les troupes alliées poussent vers l'Est. Mais l'Afrika Korp qui remonte de Lybie et les renforts envoyés directement par l'Allemagne bloquent les Alliés notamment au col de Kasserine. L'armée allemande envahit la Tunisie avec son corollaire, la Gestapo. Travaux forcés, exécutions, pillages, rackets sous forme de rançons, incitations aux pogroms. Quelques zones de port de l'étoile jaune tout rappelle la vie dans l'Europe de l'Est. Mais l'assassinat collectif qu'ils baptisent “Solution finale” sera bloqué par la victoire alliée en Tunisie.

57Pendant l'occupation les EI participeront à l'organisation de planques, d'aide aux évadés, etc. Beaucoup d'EI sont français et seront mobilisés, d'autres s'engageront pour les combats à venir et le Mouvement continuera comme ailleurs avec toutes les bonnes volontés disponibles.

583) Avec la société civile nous aurons peu de rapports.

59Avec les Arabes, la cohabitation est ancienne et change peu. L'abolition du décret Crémieux les a laissés assez indifférents et a même relativisé la valeur d'une nationalité française à éclipses.

60Chez les Français de souche, l'antisémitisme est très répandu mais il se veut “dans l'ordre”. La violence est alimentée surtout par d'autres originaires, Espagnols, Italiens, Maltais, etc, fort nombreux.

61Un nouveau flash pour illustrer le terrain où nous sommes plongés.

62Vers Souccoth 1941, nous organisons un camp de chefs dans les environs de Mascara. Nous l'appellerons Ur Kasdim. Ur en Chaldée, point de départ du périple d'Abraham qui se terminera à Hébron. Tout est prêt. J'arrive à la gare avec cinquante ou soixante stagiaires, j'ai oublié. Je reçois les excuses du propriétaire sympathisant qui hélas, ne peut nous accueillir : il subit un chantage à l'incendie de sa propriété s'il nous reçoit. Nous trouvons un autre terrain et par prudence, appointons deux gardes arabes. Nous nous installons sans problèmes. Deux à trois jours plus tard, je suis demandé par un policier juif. Je lui ai fait remarquer qu'ils sont tous révoqués. Il serait resté en relation avec ses chefs. Je reçois cet homme faute d'autre possibilité. Il vient souvent. Probablement nous espionner. Pour le départ, il nous demande de nous disperser par petits groupes pour éviter une agression qui menacerait sur la route de la gare.

63La décision prise est inverse. Une carriole emmène les bagages vers la gare avec une toute petite escorte. Pour le reste, nous rentrerons en défilant en rang par cinq de front, au pas cadencé, sans personne en tête sans serre fil et en silence. Il n'y a pas eu d'agression. S'agissait-il d'une tentative d'intoxication ou avons-nous effrayé des agresseurs, je ne le saurai jamais.

644) Avec le scoutisme français, nos rapports sont capitaux.

65Je rappelle que nous sommes indigènes et qu'ils doivent répondre de nous. J'ai personnellement de bons éléments à fournir à leurs chefs pour gagner leur confiance.

66Les EU dirigés si je me souviens bien par de Schelles et les EDF par Buisson (La Hune) ne nous sont pas hostiles par doctrine. De plus, je suis un ancien de Monserval 1, bien sûr, mais surtout de Capy, leur camp école national.

67Enfin, je leur ai montré une lettre très élogieuse du commissaire général EU en fonction, GastamBide. Il me l'avait envoyée après que j'ai dirigé à leur camp national de 1936, la délégation EIF dont le comportement devait servir de test avant notre admission au sein du Scoutisme français.

68Avec les Scouts de France je fais valoir surtout d'autres arguments. L'ambiance est différente mais j'ai montré au Chef Carré, mon ordre de mission de Vichy et puis j'étais un ancien d'Uriage : le camp école des chefs de jeunesse de Pétain. Castor nous y avait envoyés à quatre ou cinq dont Bouli et moi-même et mes notes étaient telles que j'ai finalement été nommé Délégué régional adjoint à la Jeunesse du Languedoc-Roussillon. Ne soyez pas étonné, j'ai réellement été nommé. Bien entendu quelques semaines plus tard, le titulaire est arrivé “de Lagausy”. Nous nous sommes quittés en bon terme et je le retrouverai à Alger en 1942 en mission “jeunesse” chargé m'a-t-il dit de m'arrêter éventuellement. Il ne l'a pas fait.

69Donc le scoutisme français (SF) nous traite longtemps à égalité. Pour la Saint-Georges 1941, le SF d'Alger organise un grand rassemblement. Les EI sont à égalité de nombre avec les autres Fédérations (200 chacune environ). La tenue et le comportement EI sont si corrects que Willy Katz m'a rappelé le reportage d'un journal local “Algéria”. Les photos illustrant l'article sont justement celles de la délégation EI.

70Avec le temps et la montée en puissance du SOL, le Service d'Ordre Légionnaire et de l'antisémitisme, Carré me demande progressivement un effacement excessif, à l'extrême : abandon du port de l'uniforme, abandon de toutes manifestations. J'ai refusé ce que j'ai appelé un suicide par persuasion. Comme nous étions sous le contrôle du scoutisme français, quelques chefs SDF locaux ont fait des remarques à certains de nos chefs d'unité. J'ai diffusé dans notre circulaire mensuelle de chefs une note interdisant toute soumission à quelque hiérarchie scoute que ce soit sauf la notre évidemment, mais le président du scoutisme français le général Laffont avait ordonné exactement le contraire. Mais tout s'est qu'en même très bien passé jusqu'à la libération par les Forces alliées.

715) Parlons maintenant de la manière dont nous nous sommes débrouillés.

72Pour agir, il nous fallait forcément des règles mais dans ce contexte difficile, l'action a dû commencer dès mon arrivée, sans aucun délai de réflexion. La base doctrinale a donc été de : “Faire comme si...”. Comme si tout continuait normalement.

73Nous sommes donc EIF, Éclaireurs et Israélites et de France.

74Du point de vue éclaireur, la multiplication des effectifs résulte de deux processus. D'abord, souvent, nous répondons aux éléments d'ordre local : éléments activistes qui se dégagent spontanément (parfois anciens EU ou EDF) soit des consistoires locaux. Dans d'autres cas, au contraire, c'est nous qui décidons une création dans une ville cible et nous contactons le plus souvent le Consistoire local.

75Une visite est alors préparée, en général par lettre. Je me méfie des écoutes téléphoniques. Je vais alors rencontrer les volontaires, futurs cadres scouts, routiers, (aujourd'hui PIF) ou futurs membres de Comités d'Amis. Il fallait sélectionner les plus aptes, sans vexer les autres et heureusement, il n'y a pas eu trop d'erreurs, ni dans la sélection ni dans la diplomatie. Puis il fallait aider les volontaires à se préparer bien qu'ils soient parfois prématurément précipités dans l'action. Nous allons centrer le maximum de nos efforts sur la formation des cadres. Ce dont nous reparlerons tout à l'heure à propos du fonctionnement du Secrétariat général.

76À titre d'exemple, je voudrais citer ce que j'écrivais à Castor et à Bouli dans une longue lettre du 16 juin 1941 sur beaucoup de sujets dont je cite celui qui concerne le Constantinois : “J'ai fondé des groupes à Batna, Aïn Beî Da, Guelma, Bonn, Philippeville, Bougie. On en demande à Tebessa et Soukharas mais cela est remis à plus tard car ils ne sont pas encore au point.” J'ajoute dans cette lettre que j'attends avec impatience l'arrivée de Robert Munnich et que c'est bien long.

77Seul élément statistique de cette période, j'ai fait vérifier que le très rude effort que fournissaient nos jeunes volontaires ne nuisait pas à leur vie sociale : et bien ? Leur pourcentage de réussites au Baccalauréat était supérieur à la moyenne générale et j'en ai été rasséréné.

78Au point de vue français, notre problème était insoluble, nous ne pouvions être ni pour un gouvernement collaborateur ni être contre lui officiellement. Nous avons “fait comme si...” et nous avons escamoté le problème en continuant notre action traditionnelle pour la France.

79Au point de vue juif, nous nous sommes ressourcés dans la Bible et ses épisodes guerriers (Abandonnant la guerre des Boers de BP et l'indianisme, dérisoires dans le drame en cours.)

80Au point de vue religieux nous nous sommes unis dans le respect du minimum commun et la recherche du perfectionnement par l'étude avec nos faibles possibilités.

81On nous a bien entendu accusé de Résistance.

82Idéologiquement, c'était évident. Nous refusions la doctrine officielle de la nature animale de l'homme en général et du Juif en particulier qui seraient les uns et les autres des animaux comme les autres se détruisant les uns les autres comme beaucoup de races animales.

83À l'inverse, nous prêchons la doctrine abrahamique de l'homme, créature de Dieu et de ses rapports transcendants avec son créateur. En raisonnement de masse, ceci impliquait évidemment que l'homme, encore indéterminé à l'origine mais avec des potentialités pouvait devenir ce que l'éducation ferait de lui et c'est là que nous voulions agir.

84Mais en tant que tel, le Mouvement n'était pas matériellement engagé dans la Résistance. Certains des nôtres l'étaient bien entendu contribuant notamment à la neutralisation des forces vychistes lors du débarquement anglo-américain à Alger. Donc, aucun de nos ennemis n'a jamais rien pu prouver contre nous qui entraîne dissolution et arrestations voire transferts et cela même lors du processus contre Robert Munnich.

85Comment avons-nous fait ?

86Il fallait assurer au Mouvement une qualité remarquable sans freiner une extension très rapide et pour cela, il fallait consacrer un maximum d'efforts à la formation des cadres et à leur soutien.

87Nous avons mis en place à Alger, un Secrétariat régional multifonctions qui doit beaucoup à l'activité de Willy Katz et à Antares. Il y avait la préparation de lots de livres présélectionnés, achetés et stockés. Livres scouts et livres juifs envoyés contre remboursement aux unités et aux chefs demandeurs.

88En cette période de pénurie administrée, il fallait obtenir et envoyer des bons d'achat, du tissu, ou du gros matériels, du petit matériel et bien entendu les cartes et les insignes du Mouvement sur justifications. Mais aussi, il fallait consacrer un gros effort à la formation des chefs de patrouilles et pour cela nous avons édité un cours de CP qui a été réalisé, rédigé, et diffusé par Willy Katz. Cours de CP hebdomadaire édité en 52 cours successifs et j'ai admiré Willy Katz.

89Il fallait aider les cercles d'Études. Nos moyens étant faibles, j'ai fait des appels réitérés au QG de Moissac hélas avec bien peu de succès.

90L'un de ces cercles était para EI. Il était dirigé à Oran par mon ami l'écrivain hélas disparu, le Dr Cixous, père de Hélène Cixous. Il était trop malade pour être lui-même EI actif. Mais je crois qu'il a groupé autour de lui Manitou, le rabbin Rouche, Willy Katz, Benguigui et André Chouraqui dont vous connaissez toute la carrière politique et littéraire en Israël.

91Et surtout nous avons édité trois publications EI spécifiques.

92Notre Lien était le journal de l'Afrique du Nord adressé à tous les EI, une fois tous les deux mois.

93Nous avons édité La Route EI pour les routiers (aujourd'hui PIF.)

94Enfin la rapide extension du Mouvement a fait qu'il n'y avait plus de possibilités matérielles d'être en rapport direct avec tous les chefs et nous avons édité une circulaire mensuelle adressée tous les mois à tous les responsables.

95Bien entendu, nous avons organisé un service courrier pour la correspondance avec tous les responsables et réponses à les lettres. Pour ma part, j'ai expédié environ 800 lettres, manuscrites au début, puis dactylographiées parfois brèves, parfois longues, sans compter les articles dans Notre Lien et les circulaires mensuelles.

96Enfin dans chaque ville, il fallait des visites au moins une à la création, puis une de contrôle, puis suivant les besoins, parfois visite brève voire concentrée même pendant une escale du train (escales bien plus longues qu'aujourd'hui) parfois avec séjour toujours bref.

97Et, ce qui était essentiel nous avons organisé des camps, le plus de camps possible. Les camps de chefs et camps de chefs de patrouilles étaient organisés soit régionalement soit par Province. Les camps d'unité ou de routier étaient organisés à l'échelon local. Comme l'étaient les sorties et les feux de camps. Les unités locales ont aussi organisé au service de leur communauté des sorties de jeunes non EI du type patronage et des feux de camps par exemple au moment des fêtes juives.

98Hors des activités typiquement scoutes de nombreux ateliers professionnels ont été préparés. En fait seul l'atelier d'Oran a pleinement fonctionné. Atelier de formation pour le travail du bois et le travail du fer avec vingt à trente stagiaires, sous l'impulsion de Willy Katz et de Benguigui, commissaire provincial.

99Le Secrétariat régional était le pivot de notre action. Son organisation matérielle doit une grande reconnaissance à Antares, Germaine Chemla Haït qui a longtemps prêté.son local et son téléphone. Finalement point de repères de tous les EI arrivant à Alger, après la Libération locale soit de métropole, soit du désert avec la première Division française libre. Et ceci n'exclut en rien le rôle d'animatrice qu'Antares va jouer après le départ des chefs aux armées. Petit à petit, nous avons eu un local rue Bruce. Nous avons eu aussi une machine à écrire utilisée avec des bénévoles d'abord dont Sonia Munnich, la sœur d'Arnold et de Robert. Puis une secrétaire à mi-temps, enfin, une machine à polycopier avec les autorisations nécessaires et l'argent pour la payer même d'occasion.

100Le financement a été l'effort et le miracle permanents. Il était assuré par une ventilation des cotisations entre les échelons du local au national et par les dons obtenus par les comités de soutien avec ventilations également.

101La tenue d'une comptabilité rigoureuse nous a pris beaucoup de temps avec comme trésorier, le commissaire d'Alger, le Dr Kanoui “Mammouth” et comme dépositaire un notaire, Me Moatti. Une subvention nous a été attribuée par le QG de Moissac mais trop tard pour avoir eu tout l'effet souhaité.

102Après le débarquement allié, j'ai fait des demandes au Joint représenté par M. Schwartz mais je devais être militaire quand sa réponse est éventuellement parvenue.

103Il me faut préciser que jusqu'à notre Libération en Afrique du Nord je suis resté en permanence en contact avec Moissac – que nous étions tous surmenés – parfois irritables, que je trouvais Castor injoignable mais que j'ai retrouvé beaucoup de lettres de lui. Qu'il servait de contact avec le scoutisme français, le grand Rabbinat et l'UGIF. Et je voudrais dire ma tristesse lorsque mon ami et correspondant préféré, Marc Haguenau a été abattu à Grenoble en tentant d'échapper à la Gestapo.

104Enfin je précise m'être rendu en liaison en France en été 42. Être allé à Marseille, à Moissac.

105De Marseille, je suis allé à Beauvallon saluer Chef Fleg, notre maître à penser. Il m'a promis un article pour notre journal EIF d'Afrique du Nord (Notre Lien). J'ai reçu à Alger une lettre émouvante. En dehors de passages amicaux et élogieux, il m'écrit une phrase extraordinaire que je cite : “J'ai refait ce message je ne sais combien de fois. Je vous envoie la dernière version qui ne me plaît pas plus que les autres, vous pourrez, selon votre impression soit renoncer à la publier, soit y faire les changements que vous voudrez.”

106Le 8 novembre 1942, le débarquement anglo-américain a connu le succès après une période de confusion. Quels que soient les changements à la tête des pays, les autorités locales sont restées les mêmes, doutant peut être, mais crispées certainement. J'ai diffusé des consignes de calme et de discrétion qui ont fait sourire certains. Pour comprendre, il suffit de rappeler les milliers de morts d'une répression à Sétif en 1945. Bien entendu, les circonstances sont différentes mais je voulais éviter tout triomphalisme prématuré et dangereux.

107Dès lors la période d'extension doit se terminer. Il faut se préparer au départ des chefs – à la guerre que soulignent des bombardements et consolider avec ceux qui restent – et notamment les cheftaines dont Antares, animatrice dévouée et efficace.

108Grâce à elles toutes et grâce à eux tous, le Mouvement va continuer, ses journaux vont paraître. Et en 1947 (quatre ans après mon départ) au lieu d'admirer cette longue continuité, ces effectifs importants même moins dynamiques, un commissaire EI en tournée aurait écrit ce qui le juge lui-même, je cite : “Cette quantité ne vaut rien sans la qualité”, (fin de citation) alors que le QG n'avait envoyé personne pour me remplacer et même plus, avait dissocié en cinq provinces cette région séfarade au lieu de la consolider.

109En attendant, en août 1944 avec bien des EI dispersés, nous avons sauté de l'abattant de nos bateaux sur les plages du sud de la France et poursuivi vers le nord sous de folles acclamations. Et voici un nouveau flash.

110Dans le Doubs, du côté de Morteau, parmi les blessés que je soignais, je reconnais un EI d'une petite ville. Il vivra. Nous parlons. En sortant sur la route, je reconnais le planton de la régulatrice routière : C'est un autre EI, mais surtout c'était le cousin du premier et j'ai pu les réunir. Souvenir émouvant.

111Puis c'est la première permission, les retrouvailles avec les EI de Paris, rue Claude Bernard. Les accolades, “tu es un héros”. “Non, les héros, c'est vous qui avez su tenir sans plier”.

112Puis c'est le retour aux Armées. Je revois les grandes plaines de l'Est enneigées sous un ciel sombre et le bruit si excitant d'une furieuse canonnade pendant des heures de route, le vent venant de l'Est. Je pensais aussi à Paris : “Le froid, la faim, les pénuries”, mais ils croyaient la guerre finie et moi, je ne sais où ! Et surtout oublié.

113La théorie de la non spécificité maghrébine et séfarade triomphe. C'est le démembrement de la Région EIF d'Afrique du Nord. Il y a cinq provinces reliées directement à Paris. On n'envoie pas un responsable régional me remplacer. À mon retour, la guerre finie, près d'un an plus tard, je ne suis pas d'accord. Je ne suis pas d'accord non plus avec les techniques d'organisation de direction du Mouvement. Je finis par démissionner non des EI bien-sûr mais d'un CD (CA) où je suis trop minoritaire pour espérer être utile. Hélas, le Mouvement en tant que tel va végéter un long temps à tous petits effectifs comme je l'avais craint.

114Et maintenant qu'est-il donc resté de tant d'effort en Afrique du Nord, de tant de bonnes volontés. Tout d'abord les EI du Maghreb comme de partout ont aidé toute une jeunesse à sauver sa force et sa dignité, son physique et son mental.

115Cette jeunesse a vécu sa judaïté dans la fierté et son judaïsme très positivement.

116J'ai relu avec émotion les articles que je vous ai cités tout à l'heure. Cette jeunesse a apporté à notre communauté juive française de nombreux activistes et de nombreux responsables. Je voudrais citer parmi ceux avec qui j'ai collaboré Gérard Israël et Manitou, Edgar Guedj que vous avez connu au début comme directeur du DEJ, mais aussi Albert Memmi à la fois Tunisien et Algérois, le rabbin Zaoui de Sidi Bel Abbes qui animait l'Union libérale, Gaby Boulakia-Brami à l'OSE, le grand rabbin Jais et même le grand rabbin Sirat dont Robert Munnich m'a rappelé lui avoir remis sa carte de Louveteau et tant d'autres en France et en Israël, comme André Chouraqui..., intellectuels remarqués ou activistes de toutes sortes.

117Actuellement, après plus d'un demi-siècle et le démembrement de l'après-guerre, des groupes plus ou moins informels se réunissent encore et j'ai tous les ans la joie d'aller entendre se produire la Chorale de Tunis créée par Michou Nataf, pendant la guerre et actuellement dirigée par Zera et Ganouna et dont Josette Lumbroso veut inclure l'histoire dans une plaquette sur le destin des EI de Tunisie.

118Je crois que nous, les EEIF d'Afrique du Nord, tous ensemble, nous avons œuvré très positivement pour nos jeunes, pour le judaïsme et pour la France

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Date de dernière mise à jour : 06/08/2023