Juifs et musulmans en Algérie. VIIe-XXe siècle


par Lucette Valensi, Tallandier (9 juin 2016)
256 p.,

 

Juifs et musulmans en algerie

De l’avènement de l’islam à la fin de la période coloniale, juifs et musulmans ont partagé en Algérie une longue histoire qui s’achève en 1962 avec l’indépendance du pays. Si en 1954 on y comptait environ 130 000 juifs répartis sur 250 communes, il n’en reste presque plus aujourd’hui. Pourquoi cette coexistence entre juifs et musulmans a-t-elle duré ? Pourquoi a-t-elle pris fin ?

Juifs et musulmans ont vécu ensemble les grands mouvements de l’histoire du Maghreb central, devenu l’Algérie : les débuts de l’islam et la compétition entre dynasties rivales au Moyen Âge, l’intégration à l’Empire ottoman entre le XVIe et le XIXe siècle, la colonisation française à partir de 1830 et, pour les juifs, le décret Crémieux de 1870 , les lois antijuives du régime de Vichy, la guerre d’Algérie enfin. La fin de la présence française en 1962 est aussi celle de la majorité des juifs.

Historienne réputée du Maghreb, Lucette Valensi s’attache à comprendre sans parti pris les relations que juifs et musulmans ont entretenues, faites de domination marquée et de violences sporadiques exercées sur la minorité juive, mais aussi et plus longuement de contacts, d’échanges et de paisible collaboration.

 

Biographie de l'auteur

Lucette Valensi, historienne, est spécialiste de l histoire sociale et culturelle de l islam méditerranéen. Elle a publié Ces étrangers familiers. Les musulmans en Europe, XVIe-XVIIIe siècles (2012) et, avec Gabriel Martinez-Gros, L Islam, l Islamisme et l Occident. Genèse d un affrontement (2013).

 

L’analyse de Maxime Laurent parue dans l’Obs du 23 juin 2016

Famille juive d algerie debut xx siecle

Famille Juive de Constantine début 20 ème siècle

 

Le conflit israélo-palestinien ne doit pas masquer la complexité de l'histoire qui lie les «Juifs et musulmans en Algérie». «Quatorze siècles d'histoire commune, autant constituée d'échanges que d'antagonismes, de compréhension que de rejet», rappellent dans leur préface l'historien Michel Abitbol et le philosophe Abdou Filali-Ansary.

Dans ce Maghreb central qui deviendra l'Algérie, parler de «communauté» juive reviendrait à omettre l'hétérogénéité de ses habitants. Tous ont subi l'instabilité des luttes dynastiques, surmonté des persécutions comme celle, au IIe siècle, des chrétiens contre les berbères judaïsants.

Mais à l'inverse du christianisme, le judaïsme ne disparut pas de l'Algérie islamisée. Au contraire, il crût et ses adeptes furent même des «médiateurs entre les mondes musulman et chrétien». Un «pacte», noué au début du VIIe siècle, régit les relations entre «Arabes dominants et sujets non musulmans»: liberté de culte, impôts ou vêtements spécifiques constituent, pour les juifs dont la majorité vivent en terre musulmane, des conditions plus enviables que celles en vigueur dans l'Occident chrétien ou l'Empire ottoman.

 

De fait, ce pacte garantit une «grande autonomie administrative et judiciaire». Valensi évoque une «relative bienveillance» qui, au-delà de l'absence de différend religieux comparable aux griefs chrétiens, s'explique par la taille modeste des communautés israélites, qu'aucune puissance extérieure n'était susceptible de soutenir. Dès lors, les savoirs des intellectuels s'entremêlent: au Xe siècle, le linguiste Yehuda ibn Quraysh de Tahert étudie les relations entre l'arabe, l'hébreu et l'araméen; à Tlemcen, ville refuge pour les juifs ibériques persécutés et foyer de collaboration intellectuelle, la renommée du médecin juif Mûshî b. Shmûil b. Yahûdâ al-Isrâ'ilî al-Mâlaqî al-Andalusî parvient jusqu'en Egypte. Plus tard, l'historien Ibn Khaldûn écrira une «Histoire des enfants d'Israël»

 

Reste qu'en période de crise, les juifs deviennent des cibles: à la fin du Xe siècle, la dynastie des Zirides, lancés dans une entreprise unificatrice de leurs possessions, déportent ou tuent ceux qui refusent la conversion, de même qu'au XIIe siècle, les Almohades martyrisent au nom de la «purification religieuse».

 

Trois cents ans plus tard, la destruction des juifs du Touat et les torrents de haine déversés par l'influent juriste Al-Maghîlî scellent, le temps d'une flambée de violence, la fin d'une longue séquence de paix. «Sujets dominés» parmi d'autres, les juifs d'Algérie voient leur incorporation dans l'Empire ottoman, du XVIe au début du XIXe siècle, placée sous le sceau de la continuité, entre large précarité, discriminations, entente et fragile prospérité, voire expulsion des territoires pris ponctuellement par les Espagnols.

Lors de la colonisation commencée en 1830, les 17 000 juifs d'Algérie bénéficieront des mesures édictées sous le premier Empire, organisant notamment le Consistoire. Puis, le décret Crémieux leur accorde en 1870 la citoyenneté française, synonyme d'élévation sociale et d'un «divorce d'avec la population musulmane» symbolisé en 1934 par les émeutes antijuives de Constantine; du côté des fomenteurs, n'oublions pas les antisémites européens, comblés sous Vichy.

Quand l'insurrection éclate, en 1954, les juifs d'Algérie sont 130000 et très citadins, les musulmans sept millions, dont une petite élite reflète les progrès tardifs et limités de la scolarisation. Les indépendantistes comptent dans leurs rangs une minorité de juifs communistes, peu inquiets des attentats qui visent notamment des synagogues. A l'inverse, certains virent OAS. La guerre débouche sur un «double exil», fait d'exode et d'émigration, d'acteurs, témoins et victimes d'une même histoire, que ce livre restitue avec nuance.

http://bibliobs.nouvelobs.com/idees/20160623.OBS3261/juifs-et-musulmans-en-algerie-14-siecles-ensemble-pour-le-meilleur-et-pour-le-pire.html

 

 

 

 

 

 

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