La Galette de Pâque
Par Caroline Elishéva REBOUH
A Alger, où nous étions très francisés, et où notre éducation juive laissait beaucoup à désirer, nous ne disions pas « matsoth » qui à l’extrême rigueur était un mot prononcé « messoth » par des personnes qui avaient des réminiscences de ce qu’ils avaient appris à « l’Alliance ». On ne disait pas non plus « pain azyme » mais tout simplement « la galette » on allait acheter la galette, on trempait la galette et on ne supportait pas la galette.
A Alger, d’après ce dont je me souviens de ma prime enfance, les galettes étaient fabriquées manuellement et la pâte était pincée pour donner la forme traditionnelle qui remontait à la nuit des temps. Je me souviens d’une haggada de Pessah qui avait été imprimée à l’Imprimerie Charras à Alger qui avait été offerte à mon père et où il y avait le croquis d’une galette ayant la forme qu’on lui connaît encore aujourd’hui, toute festonnée ou dentelée….
Mr Simon Bitone vers les années d’avant l’indépendance avait commandé une ou deux machines avec des emporte-pièces avec cette forme et les perforations qui vont avec.
L’Indépendance déclarée, l’exil de l’Algérie ayant été conclu, chacun se « replia » où il put. La famille Bitone trouva son port d’attache à Agen : une biscuiterie était à vendre et c’était l’occasion ou jamais.
Mon père fournissait des emballages depuis Alger à la Biscuiterie Bitone débaptisée et devenue Biscuiterie d’Agen. En France, fabriquer des matsot exigeait que des démarches précises soient entamées auprès du département de la cacherout et non seulement des démarches mais il fallut suivre toutes les exigences dictées par la Halakha de manière à fabriquer une galette cashère le mehadrine c’est-à-dire cashère même pour les plus exigeants. Le Grand Rabbin Rahamim Naouri – zatsal – fit le voyage de Paris à Agen afin de prendre contact, voir et inspecter les lieux destinés à la production et transmettre ses instructions.
La durée de fabrication cuisson comprise ne devant pas excéder 18 minutes, il y avait quelques petits problèmes comme ne pas repétrir une pâte qui l’avait déjà été comme par exemple les chutes de pâte et, Mr Bitone accepta toutes les conditions de manière à satisfaire les plus exigeants des consommateurs, pour ce faire, il fut décidé que les tombées de pâte seraient utilisées par la biscuiterie ordinaire et pas pour Pessah. Pour faire encore mieux, Mr Bitone a décidé de consacrer tout un étage à la fabrication des galettes de pâque et les clés seront remises à la rabbanout qui se rendrait sur place dès le mois de novembre pour commencer la fabrication de cette quantité de matsot qu’il faudrait pour satisfaire tous les « pieds-noirs ». Les tombées de pâte étaient donc transférées dans des congélateurs pour être réutilisées ultérieurement.
La galette à l’eau ou matsa était fabriquée comme le pain de misère dont il est question dans la haggada à partir d’eau et de farine surveillée et dont il est certain qu’elle n’a pu être en contact avec un soupçon –même d’humidité. Les perforations sont destinées à empêcher la pâte de gonfler.
La galette au vin, elle, comprend avec sa farine du jus d’orange et de l’huile et bien sûr du vin blanc. Le Rav Naouri connaissait cette galette et les premières années pendant lesquelles il assurait la surveillance il était comme toujours, d’une rigueur extrême. Témoin cette petite anecdote que je tiens de mon père qui était allé rendre visite à son ami de toujours qui lui tint ce langage : « Tu sais, j’ai acheté un vin blanc casher pour les galettes au vin, quelque chose de spécial et, j’étais si content quand j’ai reçu la cuve, que j’ai eu envie d’en boire un verre. Le lendemain est arrivé le Grand Rabbin, a inspecté la cuve et m’a demandé : qui a ouvert la cuve ? J’ai dit que c’était moi il m’a répondu aussitôt ce vin n’est plus casher ! Il faut en prendre une autre cuve ! Je n’ai pas compris mais j’ai recommandé une autre cuve et quant à celle-là, je vais faire des cadeaux aux uns et aux autres ! Ma galette, tu sais, elle est vraiment cashère ! »
Pour les galettes sucrées au jus d'orange, les chutes de pâte étaient elles aussi congelées pour servir après Pessah à la confection de divers gâteaux secs pour le courant de l'année dans cette biscuiterie.
Les trois matsot qui devaient servir pour le seder étaient petites et carrées on les appelait "hlishoth" je ne connais pas le sens de ce terme. Chacune de ces galettes comportaient une, deux "dents" ou pas du tout pour désigner la matsa de Cohen, de Lévy ou d'Israël.
Autre chose de particulier : le harosseth d'Alger. Bien qu'en Afrique du Nord il y avait des variétés de dattes magnifiques et mielleuses, nous fabriquions notre harosseth avec des figues sèches : en été, nous attachions des figues fraîches avec du fil pour former comme de longues guirlandes que l'on mettait à sécher au soleil et, le moment venu à la veille de Pessah, nous ouvrions ces figues sèches pour en prendre le contenu sans leur peau, qui de toutes façons n'était pas roulée dans la farine, puis, nous ajoutions du vin et un peu de cannelle et de gingembre pour faire une pâte qui figurerait le mortier utilisé en Egypte par nos ancêtres. Et, après le seder, nous nous disputions tous (les enfants) pour étaler un peu de ce délice sur des feuilles de salade…
Caroline Elishéva REBOUH
Ajouter un commentaire
Date de dernière mise à jour : 04/04/2023