LA GARDE SOUS VICHY : LE TOURNANT

 Actions de La Garde pendant le débarquement allié du 8 novembre 1942 en AFN.

De juillet 1940 à novembre 1942, parfaitement incorporée à l’armée de l’armistice, la garde traverse la période la plus calme de sa courte histoire. À l’instar des autres militaires, ses personnels attendent confiants l’heure de la revanche. Plutôt qu’on ne le prévoyait, les circonstances se présentent qui offrent à l’armée de l’armistice la possibilité de reprendre le combat dans l’honneur.

Dans la nuit du 7 au 8 novembre 1942, les forces anglo-américaines, en provenance de Gibraltar, s’apprêtent à débarquer en Algérie et au Maroc. Au même moment, selon un plan arrêté antérieurement, des militaires (généraux Mast, Béthouard, de Montsabert, colonel Baril, etc.) et des civils, auxquels l’histoire donnera l’appellation de « groupe des cinq » (Lemaigre-Dubreuil, Rigault, Tarbé de Saint-Hardoin, Henri d’Astier de La Vigerie, le colonel Van Hecke), entrent en action pour prévenir toute riposte des forces de Vichy.

Au Maroc leur action échoue. Le général Béthouard, commandant la division de Casablanca, contrairement à l’action projetée, ne réussit pas à neutraliser le général Noguès résident général de France à Rabat. Dès 23 h 30, l’amiral Michelier informé de la tentative des putschistes met les troupes en alerte. Lorsque le 8 au matin les Américains mettent pied à terre à Safi, Casablanca, Port-Lyautey et Fédala, ils se heurtent à une for- te résistance.

La situation, en Algérie, pendant quarante-huit heures, tourne à la confusion. À Alger, le 7 novembre, peu avant minuit, les conjurés, au nombre d’environ quatre cent, occupent les points stratégiques. Ils isolent une trentaine d’états-majors et directions de services ainsi qu’une dizaine de centraux de transmissions. Les communications vers l’extérieur deviennent impossibles sinon difficiles. Simultanément, ils mettent les autorités civiles et militaires hors d’état d’exercer leurs responsabilités. L’amiral Darlan, commandant en chef des forces françaises, présent à Alger où il s’est rendu au chevet de son fils gravement malade, le général Juin, commandant en chef des forces terrestres, aériennes et maritimes pour toute l’A.F.N., Emmanuel Temple, préfet d’Alger, des généraux, amiraux et hauts fonctionnaires tombent aux mains des dissidents. Dans ce contexte, les Anglo-Américains ne semblent pas devoir rencontrer une forte opposition des forces armées dans le secteur d’Alger.

À Vichy, le Gouvernement, alerté par la marine, transmet à 5 h 30 l’ordre du maréchal Pétain invitant les troupes françaises à se battre contre les Anglo-Américains :

« Nous sommes attaqués, nous nous défendrons ; c’est l’ordre que je donne. »

Comment, au cours de ces graves événements, la garde d’A.F.N., composante de l’armée de l’armistice, réagit-elle ? Son action, en Algérie et au Maroc, s’inscrit initialement dans le cadre du rétablissement de l’ordre.

Le dimanche 8 novembre à 1 h, la baie d’Alger s’illumine soudainement dans le fracas des coups de canons tirés par des navires américains arrivés en vue du port. Aucun objectif précis n’est visé. Il s’agit simplement d’une manœuvre de diversion pour couvrir les opérations de débarquement à Sidi-Ferruch, Cap Matifou et Castiglione.

À la caserne des Tagarins, siège de l’état-major du 7e régiment de la garde, c’est le branle-bas de combat : perception des armes et des munitions, préparation des véhicules, etc. Aux environs de 3 h, le lieutenant-colonel Zwilling, chef de corps, rassemble les escadrons et les informe de la situation en ces termes :

« Les Américains viennent de débarquer à Sidi-Ferruch pour libérer la France. Nous devons les accueillir comme tels. »

Son propos, d’après le témoignage de l’aspirant Truchi, suscite parmi les gardes une véritable ovation. Les unités restent en alerte sur place. À 4 h, nouveau rassemblement. Les gardes écoutent les dernières instructions. L’allégresse fait place à la consternation :

« Les éléments qui débarquent sur nos côtes algériennes, annonce le chef de corps, sont des intrus. Il faut s’opposer à leur débarquement et les rejeter à la mer. »

Ce brusque retournement appelle des explications que donne le rapport confidentiel n° 252/4 du 17 novembre 1942, établi par le lieutenant-colonel Zwilling. Le 8 novembre, à 3 h 55, le chef de corps du 7e régiment de la garde reçoit à la caserne des Tagarins le capitaine André Dorange, chef de cabinet du général Juin. Dans la nuit du 7 au 8, ce dernier, en goguette dans Alger, observe des mouvements inhabituels et apprend que son chef, le général Juin a perdu sa liberté d’action alors que le débarquement est en cours. Avec une barque de pêcheur, il gagne l’amirauté qui n’a pas été investie par les conjurés. Le contre-amiral Leclerc le fait conduire à la caserne des Tagarins où il expose la situation au lieutenant-colonel Zwilling.

Le général Mast, commandant la division d’Alger, est passé à la dissidence. Il a fait distribuer aux troupes un ordre du jour signé de sa main déclarant que les Américains seraient reçus en libérateurs et qu’il n’y aurait pas de combat. Cet ordre, contraire aux décisions du haut commandement ne doit, sous aucun prétexte, être exécuté. Mais surtout, des conjurés armés retiennent le général Juin et l’amiral Darlan à la villa des Oliviers les mettant dans l’impossibilité d’exercer leurs fonctions.

Immédiatement, le lieutenant-colonel Zwilling désigne un peloton du 1er escadron d’Alger pour se rendre à la résidence du général Juin et le libérer. Le reste de l’unité reçoit l’ordre de se porter à la sortie nord d’El-Biar, en direction de Sidi-Ferruch, pour barrer la route aux Américains ! Écoutons l’aspirant Truchi :

« Je fus désigné avec mon peloton pour cette opération. La villa des Oliviers où demeure le général Juin est située à l’entrée d’El-Biar à 1 kilomètre de notre caserne. Nous nous y rendons à pied. Nous n’avons aucun mal à neutraliser les dissidents. »

Le lieutenant-colonel Zwilling pénètre le premier dans la villa pour prendre contact avec le général Juin. Les gardes désarment environ vingt conjurés et les retiennent prisonniers. L’intervention n’a duré que quelques minutes. Pendant la fouille des abords de la résidence, le général Juin intervient « pour qu’aucuns sévices ne soient exercés à l’égard des prisonniers ».

À 5h, Juin et Darlan, escortés par des gardes, rejoignent Fort l’Empereur où ils installent leur P.C. Le lieutenant-colonel Zwilling reçoit pour mission de réduire les îlots de résistance. Vers 6 h 15, il reprend le contrôle du Palais d’Hiver aux mains d’une trentaine de dissidents et délivre des cavaliers du 5e chasseurs qui étaient chargés d’en assurer la garde. Une demi-heure plus tard, au Q.G. de la XIXe région militaire, après avoir longuement parlementé, il obtient la libération du général Koeltz, numéro deux du haut commandement en Algérie, et celle de son adjoint. Il se rend ensuite au commissariat central aux mains des insurgés mais constate rapidement qu’il ne dispose pas des moyens suffisants pour s’en emparer. Il renonce à une action de force. Au milieu de la matinée, il rend compte de la situation au général Juin et à l’amiral Darlan. Ce dernier lui ordonne de reprendre la préfecture. Il s’y rend. Usant tour à tour de la menace et de la persuasion, il obtient de ses interlocuteurs la libération du préfet, Emmanuel Temple, qui reprend immédiatement possession des lieux. Darlan confie une dernière mission au lieutenant-colonel Zwilling : libérer l’amiral Battet détenu au commissariat central.

Pas plus qu’en début de matinée il n’est question d’investir le P.C. du boulevard Baudin. Une vive tension y règne. Les dissidents tiennent des barrages aux alentours. À la suite d’un échange de coups de feu les conjurés viennent de perdre l’un des leurs, le capitaine Pillafort, abattu par un colonel d’artillerie. Vers 13 h 30, profitant du désordre, le lieutenant-colonel Zwilling s’introduit dans le commissariat. Rapidement il localise l’endroit où est retenu l’amiral Battet. Ce dernier recouvre la liberté moins d’une heure plus tard. Le commissariat ne sera repris qu’à 16 h, sans effusion de sang, par des unités de l’armée qui, depuis 4 h, participent, comme la garde, au rétablissement de l’ordre à Alger. En conclusion de son rapport sur les événements, le lieutenant-colonel Zwilling note :

« Le hasard et les circonstances ont été surtout les facteurs du succès des opérations. L’intervention par la force risquait d’amener une riposte sanglante. Le calme et le sang-froid étaient de rigueur d’autant que l’esprit de la populace, composée en grande partie de juifs et d’extrémistes, ne paraissait nullement favorable à l’Armée. »

À Blida, de même qu’à Alger, la garde contribue à rétablir la situation officielle. Le général de Montsabert, commandant la division de Miliana, échoue dans sa tentative pour mettre l’aérodrome de Blida à la disposition de l’aviation américaine. Le colonel Montrelay, commandant la base, alerté par son supérieur d’Alger, le général Mendigal, s’oppose à ses décisions. À Oran, de même qu’à Blida, la conjuration échoue au dernier moment par suite des états d’âme de l’officier à la tête de la subversion, le lieutenant-colonel Tostain, commandant la subdivision. La garde obéit aux ordres. Les atermoiements de Darlan, qui a pris le pouvoir au nom de Pétain, entraînent dans la journée du 8 flottement et confusion. Bon nombre de chefs militaires ne savent pas quelle attitude prendre à l’égard des Alliés. Doivent-ils les considérer comme des agresseurs ou faire preuve de neutralité ?

Les 8 et 9 novembre, le commandement utilise également la garde dans le cadre des opérations militaires engagées pour s’opposer au débarquement. En Algérie comme au Maroc, les escadrons s’intègrent dans le dispositif de défense de l’A.F.N. planifié au début de l’année 1942. La mission est claire. Il faut s’opposer de vive force à toute atteinte à l’intégrité du territoire, quel que soit l’agresseur. Le commandement a prévu, en cas de menace, la mise sur pied, dans chaque division militaire (Alger, Oran, Constantine, Casablanca, etc.), de groupements tactiques toutes armes (artillerie, infanterie, cavalerie, garde, etc.) coiffés par les commandants de subdivision destinés à remplir différentes missions : surveillance des aérodromes, défense de points d’appuis, réserves d’intervention, etc. Pour préparer l’armée à toute éventualité, exercices et manœuvres se succèdent auxquels la garde participe.

Dès la diffusion du message d’alerte chiffré aux divisions militaires, le 8 novembre, les unités se mettent sur pied de guerre. Vers 3 h 30, lorsqu’arrive en clair l’ordre de mise en œuvre des moyens défensifs, les formations rejoignent leurs zones de dispersion et d’emploi. En Algérie, dans le Constantinois, l’escadron motocycliste de Sétif (7e régiment), rattaché au 14e groupement tactique de la 7e brigade, fait mouvement dans la vallée de l’Oued Bou Sellam. Puis il gagne les limites est de l’aérodrome d’Aïn-Arnat, point sensible défendu par le groupement. Avec l’étonnement que l’on devine, en fin d’après-midi, le 8 novembre, les gardes auxquels incombe le contrôle de la piste d’atterrissage voient se poser un avion à croix noire. Ils ne savent même pas s’ils doivent ouvrir le feu. De la carlingue, descendent deux officiers porteurs d’un message que le maréchal Kesserling adresse à l’amiral Darlan. En fait, on le saura plus tard, il s’agit du colonel Giesche et du capitaine Schurmeyer qui viennent se mettre à la disposition de l’amiral Darlan pour assurer la coordination des opérations de la Luftwaffe avec les autorités françaises. Dirigés vers le commandant de la base, celui-ci leur indique qu’à sa connaissance les aérodromes de l’Algérois sont aux mains des Américains. Les deux aviateurs remontent dans leur appareil et repartent vers Tunis. Signe de la confusion qui règne à ce moment-là, le lieutenant-colonel Gesrel, commandant le dispositif, n’a reçu aucune instruction sur l’attitude à adopter à l’égard des Allemands.

Pendant ce temps, les soldats de l’Eastern-Task-Force prennent pied aux environs d’Alger. L’escadron 1/7 d’Alger, qui s’est porté le 8 au petit matin à la sortie nord d’El-Biar, en direction de Sidi-Ferruch, pour barrer la route aux Américains, voit déboucher vers 10 h les premières jeeps. Les véhicules s’arrêtent à la vue du barrage tenu par les gardes qui ne réagissent pas. Le commandant d’escadron rend compte immédiatement à sa hiérarchie. Dans les minutes qui suivent, un officier de l’état-major du général Juin vient parlementer avec les Américains. Pour simuler un baroud d’honneur, de part et d’autre on tire des coups de feu en l’air. Le barrage est levé. C’est le début de la fraternisation.

Cependant, dans toutes les zones de débarquement, au Maroc (Safi, Casablanca, Fort-Lyautey) et en Algérie (Arzew, Sidi-Ferruch, Castiglione, Cap Matifou, Bougie et Bône) d’autres escadrons connaissent des moments difficiles au cours des combats qui mettent aux prises les forces françaises aux troupes américaines et britanniques.

Avec des éléments de cavalerie, un groupement de la garde du 7e régiment, sous les ordres du chef d’escadrons P.., en l’absence de toute liaison avec le commandement, remplit une mission d’action retardatrice contre des unités américaines débarquées dans le secteur de Sidi-Ferruch. Les gardes stoppent leur avance à Châteauneuf, jusqu’aux environs de 14 h le 8 novembre. Pris à partie par des tirs violents d’armes automatiques et de mortiers, ils décrochent. L’artillerie du Fort-l’Empereur stoppe la marche sur Alger du 168e régiment U. S Au cap Matifou, les marins luttent avec détermination jusqu’à 16 h 30. Les opérations se poursuivent jusqu’à la suspension d’armes conclue par Darlan, limitée à la place d’Alger, signée vers 17 h 20 par le général Juin, Murphy et Pendar. Une poche de résistance subsiste toutefois au Fort d’Estrée qui ne consent à se rendre que dans la matinée du 9.

Pour pallier aux difficultés de liaison, dans la soirée du 8, l’aspirant Truchi, de l’escadron 1/7, reçoit pour mission, avec un officier de l’état-major de la XIXe région militaire, de se rendre dans les différents secteurs de la côte ouest d’Alger, jusqu’à Ténès, pour apporter aux unités l’ordre de cesser le feu.

La fin des combats, dans la région d’Alger, ne met pas fin aux hostilités qui se poursuivent à Oran et au Maroc. La division d’Oran, aux ordres du général Boisseau, oppose une vigoureuse résistance aux troupes débarquées. Intégré au dispositif de défense, le 2e groupe d’escadrons, du 7e régiment de la garde, se joint aux fantassins, aux marins, aux cavaliers et aux artilleurs pour refouler l’agresseur.

À 3 h, le 8 novembre, le canon tonne sur la rade du port d’Oran illuminé par l’explosion des obus tirés par les navires de la Central-Task-Force qui s’apprête à débarquer les troupes américaines. À la caserne Saint-Huber, le 2e groupe, composé des escadrons 1/7 et 2/7, placé sous les ordres du chef d’escadrons Degré, se met immédiatement sur pied de guerre. Les messages se succèdent au standard téléphonique. L’agresseur, aux premières nouvelles, ne semble pas clairement identifié. Tantôt il est question de commandos de l’Axe, tantôt d’éléments inconnus. Au fil des minutes, les renseignements se précisent. Les Américains auraient pris pied dans la plaine des Andalouzes et à Arzew.

Après plusieurs heures d’attente, les commandants d’escadrons reçoivent enfin des ordres. L’escadron 2/7 doit occuper la côte 509, sur le djebel Murdjadjo, en vue d’y interdire toute progression de l’ennemi. Ce plateau, de 5 kilomètres sur 2, surplombe la plaine des Andalouzes et le village de Bou Sfer. L’unité quitte le quartier vers 6 h, en direction de son objectif. La présence de brouillard, une route sinueuse, des véhicules mal adaptés au terrain (cars) gênent considérablement la progression. À 8 h, la colonne atteint le plateau et marque une halte. À la reprise du mouvement, aux alentours de 9 h, une patrouille capture deux soldats, un américain et un Canadien. Leur équipement moderne contraste avec l’anachronisme de celui des gardes. Au moment où les gardes ramènent les prisonniers vers l’arrière, une fusillade crépite provenant de la batterie de Bel Horizon encerclée par un commando U.S. L’escadron se porte au secours des artilleurs. Les voltigeurs débarquent à quelques centaines de mètres de la batterie et entreprennent une large manœuvre enveloppante appuyée par un groupe de la section de mitrailleuse. L’accrochage, violent, dure plusieurs heures et coûte une dizaine de tués aux Américains. L’escadron perd les gardes Garnier et Dubois. Les artilleurs déplorent également des victimes. L’obscurité tombe brusquement vers 17 h. L’escadron s’installe en défensive pour passer la nuit sur place, une nuit troublée par des tirs de mortiers et d’artillerie.

Le 9 novembre, à 2 h 45, le chef d’escadrons Degré apporte sur place les ordres reçus de la division. En liaison avec un bataillon de zouaves, l’escadron attaquera au lever du jour en direction de la ferme Combier tenue par les G.I. et occupera la côte 509. À 7 h, la progression recommence malgré le brouillard et l’obscurité. Depuis les avant-postes, les soldats américains prennent à partie les gardes qui approchent de l’objectif. Les tirs s’intensifient. La batterie de Bel-Horizon intervient pour appuyer les gardes. À la ferme Combier touchée par des obus fusants, la panique s’empare des soldats américains. Des renforts affluent rapidement à leur profit. Des jeeps et un half-track surgissent et encerclent deux pelotons. Six gardes tombent sous la mitraille (Kerdanet, Aubert, Signard, Cibot, Benezet, Picot). Huit autres sont blessés. Seuls, une dizaine d’hommes échappent à la capture dont le lieutenant Monnot commandant l’escadron. Vers 10 h, le 2/7 très affaibli se regroupe. Rien ne se passe dans l’après-midi, ni dans la nuit du 9 au 10 novembre. La prudence des Américains et les tirs de barrage dirigés contre leurs positions expliquent ce calme relatif.

Le mardi 10 novembre, à 14 h 30, l’amiral Darlan conclut l’armistice définitif avec les Américains. Les heures qui suivent sont particulièrement éprouvantes pour les gardes du lieutenant Monnot. Il y a des vides dans les rangs de l’escadron. Les familles sont dans l’anxiété au quartier Saint-Huber. De retour à Oran, vers 22 h, les cadres doivent s’acquitter d’un triste devoir à l’égard des proches des disparus et des blessés. Dans le seul secteur d’Oran, le bilan des combats est lourd : 337 morts et 340 blessés. La garde totalise 17 tués.

La liesse que provoque l’arrivée des Américains en Afrique du Nord fait passer au second plan la tragédie qui vient de se jouer. Après des obsèques discrètes mais dignes, l’amertume, pour ne pas dire une colère contenue, habite tous ceux qui ont été entraînés dans ce drame imputable aux atermoiements de l’amiral Darlan. Consolation dérisoire, les autorités militaires distinguent les victimes, tués et blessés, par des décorations. À la lecture des libellés qui accompagnent les citations décernées aux combattants, on constate que les ennemis d’un jour, les Américains, sont désignés pudiquement par le terme de « troupes adverses ».

En Tunisie, comme en Algérie et au Maroc, le sort du 8e régiment de la garde est mêlé intimement à celui de l’armée de l’armistice. Pour mettre le territoire de la Régence à l’abri d’une invasion par les Alliés, Hitler décide d’y constituer une tête de pont. Le 8 novembre, le Gouvernement français autorise les forces de l’Axe à utiliser certaines bases aériennes, pour faciliter le bombardement des forces navales anglo-américaines en cours de débarquement sur les côtes du Maroc et de l’Algérie.

Dès le 9, les premiers avions allemands atterrissent sur la base d’El-Aouina. En quelques heures, leur nombre atteint la centaine. Le 10, le ministre de la Guerre autorise un débarquement allemand à Bizerte, pointe avancée sur la Méditerranée.

Ordres et contre-ordres se succèdent à Tunis sur la conduite à tenir. Le 8 novembre, Darlan envoie un télégramme au résident général, l’amiral Estéva, et au général Barré, commandant les troupes de Tunisie, pour leur dire que les Américains ayant envahi l’Afrique du Nord ils sont leurs adversaires et qu’il faut les combattre seuls ou assistés. Le 9, l’amirauté informe l’amiral Estéva que « le chef du Gouvernement de la France a été conduit à accepter l’utilisation des bases aériennes de Tunisie et de Constantine par les forces allemandes ». On assiste le 10 au retournement de l’amiral Darlan. Depuis Alger, il prescrit aux forces françaises de Tunisie d’observer une stricte neutralité à l’égard des Allemands.

Le 11 novembre, le général Barré, estimant que ses forces, 12 000 hommes, disséminées sur toute la Tunisie ne peuvent s’opposer aux Allemands avec des chances de succès, décide de les regrouper sur la ligne Tabarka-Gafsa. Il en informe le général Juin qui lui donne son accord. Dans la nuit du 11 au 12, toutes les garnisons de la côte de la plaine tunisienne reçoivent l’ordre de décrocher. Le regroupement des troupes, sur les positions choisies, s’échelonne sur une période de 8 jours marquée par deux événements. D’une part, l’action retardatrice, d’un caractère particulier, menée par le sous-groupement motorisé du colonel Le Coulteux. De l’autre, par les négociations engagées par le résident général avec les Allemands. L’amiral Estéva semble d’accord avec la décision prise par le général Barré :

« Vous pouvez, lui dit-il, vous replier, c’est bien : moi, je vais gagner le temps qu’il vous faudra pour vous installer sur des positions solides près de la frontière algérienne, et à proximité des Américains que nous attendons. »

D’après le rapport de la commission d’enquête Viard, instituée en

1943 par une ordonnance du comité français de Libération Nationale, pour déterminer les responsabilités encourues par les autorités françaises civiles et militaires à la suite de l’entrée en Tunisie des forces armées de l’Axe, il est clair que l’amiral Estéva a temporisé avec les Allemands, sans doute pour permettre aux troupes de Tunisie de se mettre hors de leur portée. Ce document précise :

« En Tunisie, le général Barré a envoyé un agent de liaison, le commandant Gandoet, à l’amiral Estéva et au général Jurrien, chef des détachements, resté lui aussi à Tunis, pour leur dire qu’il s’agit de durer en évitant d’ouvrir les hostilités afin de donner le temps nécessaire au regroupement des forces de Tunisie et à l’approche des avant-gardes américaines, que le seul chef est le général Juin et que la fiction de la Tunisie disposée à collaborer doit durer jusqu’à ce que les alliés nous aient rejoints.

Le résident général et le chef des détachements de liaison se prêtent à ce jeu et, dans les jours suivants, ils vont négocier avec les Allemands et leur accordent des facilités de transport pour permettre au général Barré de s’installer sur ses positions et d’y tenir dans des conditions telles que les Américains pourront le rejoindre et que de là pourra partir l’offensive contre la Tunisie. »

Comment, sur le terrain, s’enchaînent les événements ? Avec son état-major, le général Barré se porte dans un premier temps à Souk el-Arba. Ses forces, dont les escadrons du 8e régiment de la garde, éparses de Bizerte à Médénine se mettent en route, les unes par voie ferrée, les autres par la route.

Au 8e régiment de la garde, seul le 3e escadron, stationné à Bizerte, ne se joint pas au mouvement. L’amiral Derrien, commandant la base, après avoir désigné l’Allemand comme ennemi et donné l’ordre de résister revient sur sa décision. La garnison de 3 000 hommes, aux ordres du général Dauphin, se laisse désarmer. Sa défection prive le général Barré de 3 bataillons (2 du 43e R.I.C., 1 du 4e zouave) d’un groupe d’artillerie (62e R.A.) et d’un escadron de la garde (3/8).

Dans la soirée du 11, l’état-major du 8e régiment stationné à Tunis, composé d’une trentaine d’hommes (chef de corps, 2 officiers adjoints, 5 adjoints administratifs, 22 sous-officiers et agents des corps de troupes) se porte en véhicule à Souk el-Arba auprès du P.C. du général Barré. Le lendemain, il s’installe à Souk el-Khemis.

Dans chaque subdivision, les escadrons s’intègrent dans les groupements tactiques mis sur pied dans le cadre du plan de défense de la Tunisie. Le colonel Bergeron, commandant la subdivision de Tunis, a sous son autorité un groupement comprenant le 4e R.C.A. et les escadrons 1/8 (Tunis) et 2/8 (La Marsa).

Aux ordres du capitaine Gérard, le 1/8, escadron monté, fait partie du sous-groupement du chef d’escadrons de Lambilly du 4e R.C.A. dont la mission est de défendre le passage de la Medjerda à Medjez el-Bab, premier obstacle naturel avant la frontière algéro-marocaine. À 22 h, le 11 novembre, l’escadron quitte le quartier Bréart à Tunis avec tous ses matériels, équipements et chevaux (100). En une seule étape, il se porte à Medjez el-Bab où il arrive le 12, à 6 h 30. Sur place, les gardes commencent à s’installer en position défensive.

L’escadron motocycliste 2/8, en résidence à la Marsa, commandé par le capitaine Feld, est affecté au détachement du chef de bataillon Michel, du 43e R.I.C., rattaché au groupement motorisé du colonel Le Coulteux, chef de corps du 4e R.C.A. Dans un premier temps, le 11 novembre, il rejoint à Tunis le quartier Forgemol où stationne le sous-groupement motorisé du chef de bataillon Michel. Coloniaux et gardes sont chargés de retarder, en évitant le combat, aussi paradoxal que cela puisse paraître, le déploiement des formations allemandes en cours de débarquement. Leur action vise principalement à permettre l’évacuation du matériel (armement, munitions, carburant, etc.) et des troupes stationnées à Tunis. La mission assignée au chef de bataillon Michel est difficile. À tous moments plane sur ses hommes la menace d’être capturés, sans pouvoir combattre. Le 12, l’escadron fait mouvement vers les jardins du Palais Beilical où il passe la nuit. Le lendemain, un premier bond le conduit jusqu’au carrefour de Sidi-Tablet, à 12 kilomètres de Tunis. Le 15, les Allemands poussent quelques reconnaissances sur les itinéraires desservant la capitale. À 21 h, une compagnie motorisée surgit. Elle encercle l’escadron. Conformément aux ordres, malgré la tension qui est vive, les officiers parlementent. Pendant deux heures, ils réussissent l’exploit de retenir sur place la formation allemande. L’escadron se replie vers minuit sur la coupure de la Medjerda. Le 16, à la tombée de la nuit, il atteint la rive gauche de la rivière, alors que les Allemands font mouvement vers la rive droite. Le 17, à 15 h, deux chasseurs Spitfire de la Royal Air Force le survolent. En signe de reconnaissance, ils battent des ailes. Des éléments portés de l’armée britannique relèvent les gardes le 18. Après ces mouvements, l’escadron s’installe à 3 kilomètres à l’ouest du nœud ferroviaire et routier de Medjez el-Bab.

L’escadron 4/8, stationné au Kef, en manœuvre au nord de Tunis depuis le 23 octobre, reçoit l’ordre, le 7 novembre, de rejoindre sa résidence. Par voie ferrée, il gagne le Kef dans la journée du 8. Jusqu’à la date de son affectation au groupement du général Moreux, le 23 novembre, il reste dans ses quartiers, en alerte. Ultérieurement, il participe aux opérations militaires jusqu’à la fin de la campagne. Le groupement du général Trémeau, commandant la subdivision de Sousse, absorbe l’escadron motocycliste 5/8 du capitaine Oudin. Alerté le 8 au matin, l’escadron passe aux ordres directs du colonel Le Courtier, commandant le sous-groupement motorisé n° 2. Les gardes couvrent son mouvement sur l’itinéraire Sousse-Enfidaville-Pont-du-Fahs. Du 12 au 20, l’escadron garde à Sloughia le pont sur la Medjerda, prêt à mener, le cas échéant, une action retardatrice sur Testour.

L’escadron porté 6/8, en garnison à Gafsa, entre dans la composition du sous-groupement du colonel de Hesdin mis sur pied dans la subdivision de Gabès. Le 16, il éclaire et couvre la marche du sous-groupement de Gafsa à Tebessa puis, jusqu’au 20, bivouaque successivement à Bekkaria, La Meskrana et Youks-les-Bains. À partir du 20, il passe au groupement du colonel Schwartz de la division de Constantine.

Sans combattre, les troupes du général Barré arrivent sur leur ligne de repli le 20 novembre. Pour parer à la menace allemande, le général Barré, investi du commandement supérieur pour la Tunisie, demande au général Welvert, commandant la division de Constantine, d’envoyer un détachement à Souk el-Arba en vue de constituer la réserve du théâtre d’opérations est. Le colonel Lorber, chef de corps du 3e R.T.A., en prend la tête. Son groupement comprend 2 bataillons d’infanterie (3e R.T.A. et 15e R.T.S.), 1 groupe d’artillerie (67e R.A.A.) et l’escadron motorisé de la garde en résidence à Sétif (7e régiment).

Dans les jours qui suivent, quatre escadrons du 7e régiment font mouvement vers la Tunisie : le 9/7 à cheval du capitaine Boulanger, rattaché au groupement tactique du colonel Regnault, commandant le 7e R.T.A., celui de Tlemcen, commandé par le capitaine Delpy, intégré dans le groupement du colonel Touzet du Vigier, et deux autres dont celui d’Hussein-Dey. Au total, au début du mois de décembre 1942, 10 escadrons (5 du 7e régiment et 5 du 8e régiment) sont engagés dans la campagne de Tunisie au sein du détachement d’armée du général Juin.

Les hostilités commencent le 19 novembre à Medjez el-Bab, petite bourgade située sur la Medjerda, au milieu de la plaine qui s’étend entre la grande dorsale et les montagnes côtières, au carrefour des deux grandes routes Bizerte-le Kef et Tunis-Alger.

Le colonel Le Coulteux de Caumont, qui a tenu les Anglais en échec le 16 juin 1941 à Qunaytra (Levant), va subir le premier assaut de la campagne. Son groupement dispose de 500 hommes établis en hérisson à Medjez el-Bab. Le dispositif s’articule en 4 sous-groupements. Le détachement du chef d’escadrons Klobukowski (1 escadron d’A.M., 1 peloton motocycliste, 1 section d’artillerie, 1 compagnie du 43e R.I.) tient une solide barricade, en avant du passage à niveau au nord de la gare, et surveille les rives de la Medjerda entre la station de chemin de fer et l’agglomération. Ses autos-mitrailleuses s’échelonnent de Medjez el-Bab vers le nord, en direction de Tebourba. Le sous-groupement du chef d’escadrons de Lambilly (2 escadrons du 4e R.C.A., l’escadron 1/8 de la garde, 2 pelotons de chars et 3 pièces du 62e R.A.A) défend le pont sur la Medjerda et la rive gauche de la rivière, de part et d’autre de ce passage. Au nord du pont, un groupe de combat du 1/8 occupe un point de franchissement sur un oued affluent de la Medjerda. Au sud du pont, un escadron de chasseurs surveille le long de la rivière. Un deuxième escadron est en position en arrière. Sur la route de Téboursouk s’échelonnent, en réserve, 2 pelotons d’A.M., 1 peloton motocycliste du 4e R.C.A., 1 compagnie du 43e R.I.C. et 1 section du 62e R.A.A. du détachement du capitaine Bouchard.

À 3 kilomètres à l’Ouest de Medjez el-Bab, le sous-groupement du chef de bataillon Michel (2 compagnies du 43e R.I.C., l’escadron 2/8 du capitaine Feld, 1 peloton d’A.M. du 4e R.C.A. et 2 sections du 62e R.A.A.) participe à la défense d’un point d’appui voisin.

Dans la nuit du 18 au 19, le colonel Le Coulteux reçoit le renfort inattendu d’une batterie d’artillerie, servie par des Américains, constituée de 2 pièces antichars, d’une pièce de D.C.A. et deux canons de 75 m/m.

Les Allemands accentuent leur pression. Un bataillon de l’Afrika Korps, de l’artillerie et des éléments antichars prennent position en face du dispositif du colonel Le Coulteux. Le 18, ce dernier reçoit à son P.C. le ministre Mulhausen, envoyé spécial du Haut commandement allemand, accompagné d’officiers français et allemands de la commission d’armistice qui lui enjoignent de se déclarer pour ou contre eux. Un officier parachutiste de l’Afrika Korps se présente même à la barricade installée par le détachement de Lambilly, près de l’église de Medjez el-Bab, et somme son homologue français de le laisser passer. Devant le refus ferme qu’on lui oppose, il rebrousse chemin.

Le 19, vers 8 h, deux Messerchmidt apparaissent au-dessus de Mejez el-Bab. Soudainement, ils piquent sur la partie ouest du village. La D.C.A. américaine ouvre le feu sans les atteindre. Cette riposte irrite les Allemands. À 8 h 45, un lieutenant allemand se présente devant une barricade porteur d’un ultimatum :

« Si à 9 h la garnison de Medjez el-Bab ne s’est pas ralliée, elle sera anéantie. »

Les Français n’obtempèrent pas. À 10 h 30, les Allemands déclenchent l’attaque. Une vingtaine de Stukas surgissent de l’horizon. Simultanément, ils bombardent Medjez el-Bab et mitraillent les positions tenues par les soldats français. L’ouest du village disparaît dans la poussière et la fumée des explosions. L’aviation s’acharne sur les routes et détruit plusieurs véhicules du groupement Le Coulteux. Le garde Fischer, de l’escadron 1/8, ajuste d’une poigne solide le tir de son F.M. vers les avions. Une mitrailleuse allemande a repéré sa pièce. Il est tué sur le coup par un projectile. Cet Alsacien est la première victime française de la campagne de Tunisie. Les Allemands détruisent une pièce de 37 américaine et blessent deux chasseurs. À peine le bombardement aérien est-il terminé que l’artillerie allemande entre en action. Canons de 77 et minenwerfers prennent à partie les unités françaises enterrées en bordure de la Medjerda. Les parachutistes de l’Afrika Korps profitent de cette couverture pour franchir la rivière à guet. À partir des remblais de la berge où ils se sont dissimulés, ils bondissent sur les chasseurs assurant la défense sud du pont. Malgré des tués et des blessés, ces derniers stoppent les assaillants puis les obligent à se replier. Grâce au soutien et à la contre-attaque d’un escadron du 4e R.C.A. et d’une section du 43e R.I.C., les Français repoussent un nouvel assaut des parachutistes mais au prix de sept tués et blessés en quelques minutes.

Dans l’impossibilité de pouvoir s’engager sur la chaussée, les fantassins allemands s’infiltrent sous les arches du pont, progressent et atteignent le carrefour menaçant de couper les gardes du 1/8 du reste du détachement. L’escadron attaque à la grenade et au F.M. Avec l’appui d’un peloton de trois chars D1 et d’une section de coloniaux, il rejette l’ennemi vers la rivière.

En vain, plus au nord, les Allemands essayent de franchir la Medjerda. Chasseurs, coloniaux et gardes les refoulent et restent maîtres du terrain malgré une ultime attaque aérienne aux environs de 16 h 30.

Par trois fois, dans la journée du 19, l’aviation ennemie bombarde l’escadron 2/8, en réserve à l’ouest de Medjez el-Bab. À 11 h 45, 13 Stukas déversent des bombes sur sa position qui entraînent la destruction d’un camion et de trois side-cars. Quelques instants plus tard, le garde Biré tombe à son poste de combat. Les deux autres raids, à 14 h 30 et 16 h 30, ne provoquent ni pertes ni dégâts.

Dans la soirée du 19, le calme s’installe. L’ennemi ne se signale par aucune activité. Pour la journée, le groupement Le Coulteux déplore 13 tués dont 2 gardes, 46 blessés et 6 disparus.

Alors que le gros des forces alliées est encore très éloigné de la Tunisie le 19 novembre, le combat qui vient de se dérouler, peu important en soi, opposant les troupes du général Barré, dépourvues d’aviation, d’armement et d’équipements modernes, aux forces de l’Axe, aguerries, bien armées, revêt cependant une importance symbolique capitale. Il marque la renaissance de l’armée française depuis la défaite de 1940 et l’entrée en lice de l’armée d’Afrique dans le combat libérateur auquel les 7e, 8e et 9e régiments de la garde vont apporter leur concours.

Le 9 novembre au matin, alors qu’on entre dans le second jour du débarquement américain, le général Bridoux, ministre secrétaire d’État à la Guerre, a par message 128 EMA sonné le branle bas de combat parmi les unités de l’armée de l’armistice, déjà en alerte depuis la veille. Les généraux Langlois et Lenclud, commandant respectivement les groupes de divisions militaires d’Avignon et de Royat reçoivent successivement l’ordre et le contre-ordre de rejoindre les zones de repli prévues en cas d’envahissement de la zone sud par les Allemands. Dans les régiments de la garde, les instructions se répercutent jusqu’à l’échelon des escadrons. À Orange, le commandant d’escadron, le capitaine Grange (André) met ses hommes sur pied de guerre et leur annonce un départ imminent pour rejoindre une zone d’attente. Mais aucun ordre nouveau ne lui parvient. Les choses en restent là.

À Montpellier, le général de Lattre de Tassigny, commandant la 16e division militaire, n’a pas l’intention de se conformer aux dernières directives du général Bridoux. Pour pouvoir combattre l’envahisseur, il maintient les ordres préparatoires prescrivant à sa division de rejoindre le Minervois.

Dans la nuit du 10 au 11 novembre, Hitler déclenche le plan « Attila ». Les troupes allemandes, massées depuis quelques jours en limite de la zone occupée, franchissent la ligne de démarcation pour occuper la partie du territoire métropolitain qui n’est pas encore sous leur contrôle. L’armée de l’armistice ne leur oppose aucune résistance. Seul réagit le général de Lattre de Tassigny. Mais trop isolé, son entreprise tourne court. Le 11 novembre à 11 h, il quitte Montpellier avec quelques officiers de son état-major et un détachement de protection, aux ordres du capitaine Quinche, constitué par quatre officiers et 180 hommes de l’école des cadres de Carnon. Parmi eux, le garde Elie Denoix, de l’escadron de Mende. Le général de Lattre, intercepté à Saint-Pons par la gendarmerie, sur ordre du préfet régional de Montpellier, estime la situation sans issue et se laisse arrêter.

En Corse, les Italiens débarquent à Bastia le 11 novembre. Le lendemain, ils occupent Calvi, Ajaccio et Bonifacio. Les quelques troupes stationnées dans l’île de Beauté (1 bataillon d’infanterie, des éléments de la marine et 1 compagnie motocycliste de la garde créée en 1934) assistent impuissantes à leur arrivée.

Du 13 au 15, le général Humbert, commandant la subdivision, visite les unités. Il donne personnellement par écrit au capitaine commandant l’escadron 4/2 l’ordre de détruire tous les matériels, sans autre avis, en cas de menace par les troupes italiennes. Visiblement, l’officier de la garde a bien l’intention d’appliquer à la lettre les instructions reçues.

La zone libre a cessé d’exister. Le 13 novembre, le maréchal Pétain lance un ordre du jour à l’armée de l’armistice, pour appeler au calme, dans l’attente d’ordres qui ne viendront jamais. L’occupant consigne les unités dans leurs quartiers. Le 26 novembre, Hitler adresse un message au chef de l’État pour l’informer de la démobilisation de l’armée :

« J’ai donné l’ordre de démobiliser toutes les unités de l’armée française qui, contre l’ordre des propres autorités françaises, sont excitées par des officiers à une résistance active contre l’Allemagne. »

Le 27 novembre, à l’aube, les troupes d’occupation investissent les casernes et saisissent armes, munitions, matériels, véhicules et équipements. Cependant, l’opération ne vise pas la garde que les Allemands veulent démilitariser et rattacher à la police. Dans plusieurs garnisons, les autorités militaires allemandes interprètent mal les instructions prévues, si bien que des unités de la garde connaissent la même infortune que leurs homologues de l’armée de l’armistice. Le 27 novembre, vers 10 h, un bataillon allemand pénètre dans le quartier de l’escadron de la garde d’Orange et s’empare de tout l’armement. Le capitaine Grange, assisté d’un interprète, se rend immédiatement auprès du commandement local allemand pour en obtenir la restitution. Ses interlocuteurs prétextent une erreur pour expliquer leur intervention. Avec leur accord, l’escadron vient reprendre possession de son bien stocké dans la caserne voisine du 12e cuirassier. Les gardes profitent de l’occasion pour récupérer, à l’insu des Allemands, des armes et du matériel appartenant à cette unité.

À Lyon, les Allemands envahissent la caserne de la Part-Dieu siège de l’état-major du 1er régiment. Le lieutenant-colonel Bretegnier « se refuse à risquer de rester captif entre leurs mains ». Il réussit à quitter les lieux sans se faire remarquer. Avec la dissolution de l’armée de l’armistice, il considère que la garde n’offre plus la perspective de réaliser le rêve de revanche qu’il caresse comme beaucoup d’officiers. Aussi envisage-t-il de retourner dans la vie civile. Avant de prendre une décision, il prend conseil auprès du général Delestraint. Le futur chef de l’armée secrète (A.S.) l’encourage à ne pas quitter la garde :

« Restez à votre place où vous serez susceptible de nous rendre de grands services. Si vous la quittez, vous serez remplacé peut-être par un autre qui n’aura pas vos sentiments. »

Quelques mois plus tard, déplacé pour le maintien de l’ordre dans les Alpes, en qualité d’adjoint du général Le Bars, pour rechercher les bandes de réfractaires, le lieutenant-colonel Bretegnier, qui ne veut pas être amené à combattre contre des Français dont il approuve la conduite, revoit le général Delestraint à Bourg et lui fait part de ses sentiments. Le chef de l’A.S., une nouvelle fois, lui recommande de rester à son poste « pour agir au mieux des intérêts de ceux qu’il pourrait protéger ou épargner alors qu’un autre leur déclarerait peut-être une guerre sans merci ».

En Corse, ce 27 novembre, les Italiens passent eux aussi à l’action. Les troupes françaises appliquent les instructions du commandant de la subdivision. Au quartier du 4/2, les gardes détruisent 60 side-cars, 4 motocyclettes, 3 camionnettes, 1 camion, le stock de pneus et de carburant. Les organes liquidateurs de l’armée se mettent en place dans les différentes armes et corps. Ils renvoient dans leurs foyers les hommes du rang et répartissent dans différentes administrations, les officiers et sous-officiers placés en congé d’armistice. L’entrée de l’Amérique dans la guerre, en Afrique du Nord, suscite, chez tous les patriotes, un immense espoir, car son potentiel est de nature à en modifier le cours. Le traumatisme consécutif à l’occupation de la zone sud est profond. L’armée de l’armistice démobilisée, la question se pose du devenir des 6 régiments de la garde stationnés en métropole.

En complément de ce texte, on lira avec interet le témoignage de Paul Molkhou, qui était parmis les résistants d'Alger dans la nuit du 7 au 8 novembre 1942 et qui relate son arrestation par le lieutenant -colonel Zwelling.

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Date de dernière mise à jour : 12/12/2016