La hotte de Hanouca

La Hotte de Hanouca

 Un souvenir d'un Noël au 20 de la Rue Sadi-Carnot à Alger.

Par Georges LEVY Blog «  Des souvenirs dans un mouchoir »

 

Il y a des années, où les dates des fêtes de Noël et de Hanouca, se chevauchent. Pour les uns, c'est un sapin décoré et des santons; pour les autres, la "Fête des Lumières" quand pendant  huit jours, et chacun à notre tour allumons les bougies du Chandelier en chantant. Mais le dénominateur commun de ce mois est la grande joie des enfants. La plupart de mes camarades d'école mettaient leurs souliers devant la cheminée, (à Alger l'hiver était très humide, mais il y avait aussi de fausses cheminées décoratives !) ,et d'autres comme moi, qui dit-on, ont les pieds fourchus, reçevaient leurs cadeaux directement des mains de leurs parents.
Et bien, chez nous c'était un peu différent et plus émouvant. Le mois précédent les Fêtes, les parents, oncles et tantes, à voix basse, comme pour une préparation à une opération secrète, faisaient les achats en commun pour tous les enfants de la famille et rassemblaient les menus offrandes qui allaient s'entasser dans un coin théoriquement insoupçonnable de chaque foyer. Mais moi qui furetais partout, connaissais évidemment  ce haut de placard aux coussins et couvertures, une cache inaccessible à nos courtes jambes, sans s'aider d'une chaise. Mais nous savions retenir notre curiosité par respect et  pour ne pas gâcher la surprise. Très tôt le matin de la fête, mon frère et moi en pyjama, nous nous réunissions dans le même lit, en pouffant de rire en  écoutant des bruits étranges dans cette aube silencieuse. Mon père, dans la proche salle de bain, ouvrait un sac de coton hydrophile, et face au miroir essayait d'en faire un collier de barbe vénérable qui ne glisserait pas au moindre hochement de tête !. Il avait choisi une sortie de bain rouge, et encapuchonné, il ne lui manquait même pas la hotte, faite de notre corbeille à papier en osier jaune que nous avions bien pris soin de vider la veille.


 Une corbeille semblable à celle-ci, sujet de notre composition de dessin,

classe 6ème A2 du Prof. Jacques Burel. Lycée E.F. Gautier, Alger.

Jacques levy la corbeille en osier 6ieme a2


Et enfin prêt, cet amour de père Noël frappait à la porte de notre chambre, suivant le même rituel tous les ans, en déguisant sa voix, et nous étions censés ne pas le reconnaître. Il déposait sa hotte et commençait sa distribution, sans oublier le nom de chaque donateur.  Alors, assis sur le lit, nous recevions à tour de rôle, les cadeaux de toute la famille, un jeu de Monopoly, un numéro complémentaire pour le mécano, mais surtout des livres, les Cent et uns Contes, Pantagruel et Gargantua, Les Misérables, (version intégrale), le Dernier des Mohicans, Flika, le Fils de Flika, les Contes d'Andersen, le Conscrit de 1813, les Contes d'Alphonse Daudet, Gulliver, des Jules Verne, tous ces trésors universels de la littérature pèle-mêle, sur notre lit, avec un kaléidoscope, un jeu de cartes, des pâtes à modeler, et bonheur suprême pour moi, un poste à galène, dans son coffret de bois. Peut-être qu'avec le temps j'ai énuméré les cadeaux de plusieurs années consécutives, mais j'en ai encore le souvenir émerveillé.
La hotte enfin vidée, notre Père-Noël nous confiait, chaque année,"qu'il ne savait pas ce dont serait faite l'année prochaine". Les problèmes économiques, les soucis, il ne nous les faisait pas partager, seule cette petite phrase, que nous faisions semblant de ne pas entendre pour ne pas gâcher notre égoïste plaisir à ouvrir ces cadeaux. Ainsi, à l'école, nous pouvions échanger nos commentaires sur ces offrandes avec nos petits camarades, sans nous sentir frustrés.
Mon père, qui déclamait sans peine le "Bateau Ivre" de Rimbaud ou autres poètes, et tout aussi respectueux des pratiques Judaïques, se transformait, une fois l'an, en porteur de joie universelle par amour de ses enfants.
Mais une année bien sombre, celle où les jouets étaient de pacotille et les restrictions sévères, mon père pris de court pensa qu'un vilain sachet de papier marron n'était pas convenable pour contenir quelques pièces de Mécano, mêmes écaillées, qu'il avait dénichées et décida donc de s'improviser menuisier. La veille au soir, après une journée de labeur, il prit une scie, un marteau, des clous, des baguettes de bois très dur de carouge qui traînaient dans le placard à outils, et s'employa à construire une boite, avec même des cloisons pour ranger les vis et les écrous. Évidemment dans le plus grand secret !
Et là, après soixante ans, je dois demander pardon à nos voisins, du bruit infernal que ce marteau fit en enfonçant ces clous dans du bois rébarbatif, à minuit, et sur le carrelage !! Il resta à mon père encore du temps avant le lever du soleil pour passer le tout au brou de noix. Le matin, deux boites magnifiques avec couvercle et charnières, remplirent la hotte miraculeuse . (J'espère qu'étant  restées à Alger, elles firent la joie d'autres enfants, après tout, ce pouvait être aussi un plateau idéal pour disposer des cacahuètes et des "biblis," ces graines de pois-chiche enrobées d'un glacis de sucre).
Mais cette distribution était à peine terminée, qu'un coup de sonnette matinal retentit au palier. Je suivis mon  père  enveloppé de sa cape qui, par réflexe, alla ouvrir la porte, et se trouva nez à nez avec.. ce brave Monsieur Femenias sur le chemin de son travail qui apportait sans doute les doléances mensuelles des locataires et la liste des réparations urgentes. Stupéfait et ne croyant pas ses yeux de voir "Monsieur Lévy" en Père-Noël, il resta un instant sur le pas de la porte, ses yeux rouges exorbités, ne sachant que dire. Mon père, lui, pouffait de rire et sa barbe en tomba !!

Il ouvrit la petite armoire des plombs en  porcelaine et en sortit une  enveloppe toute prête qu'il tendit au concierge :

"Joyeux Noël à votre famille, voici pour vos étrennes !" .
J'imagine que le récit de sa course qu'il en a fait à sa femme, de retour le soir rue de l'Union, a dû faire rire plus d'un  Belcourtois.
Moi-même j'en ris encore, mais je vous en prie, ne racontez cette histoire à personne.

 

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Date de dernière mise à jour : 18/12/2019