Les souvenirs d'un petit garçon de Saint Antoine

Les souvenirs d'un petit garçon de Saint Antoine

Par Max Alzerah

Je m’appelle Max Alzerah, je suis né le 27 juin 1946 à Oran au 3 impasse Riga mitoyenne à l'école Montaigne de la rue du Cirque que j’ai fréquentée.
Malheureusement à cause de la guerre d'Algérie il a fallu partir, c'était la dernière avant mon départ pour la France (précisément Lyon) où j'ai eu un peu de chance en retrouvant mon frère qui y habitait depuis 1957.
Je peux vous dire que çà n’a pas été facile pour nous. Je suis issu d'une famille de huit enfants et nous ne sommes pas partis tous ensemble. Nous avons été dispersés, moi j'étais avec ma maman et ma petite soeur Reine. Nous avons quitté Oran sur le « Ville d’Oran » le 5 novembre 1961, j'avais précisément 15 ans et demi, ma petite soeur n’avait que 11 ans et ma maman 46 ans. Pour situer, le reste de ma famille est partie un peu avant nous, à l’exception de mon père et mon frère Jacquie qui ont quitté l’Algérie en 1962.

Oran le boulevard du 2eme zouave

Oran - Le boulevard du 2ème Zouave

L’impasse Riga se situait entre le boulevard de l'Industrie et le boulevard du 2ème Zouaves, puis il y avait le cinéma Le Paris. J'habitais juste derrière le cinéma et je me souviens qu'il y avait une porte de sortie dans l'impasse Riga. En face et à l'angle du boulevard du 2ème Zouaves se trouvait le café « Le Palace » et je me souviens que le lendemain soir de Kippour (le Grand Pardon, fête juive), à la sortie de la grande synagogue du boulevard Joffre, nous allions « couper le jeûne », boire un café chez Elie (le patron du Palace). Je me souviens également qu’en face il y avait l’entreprise de confection de bâches « Vidal et Manegat ». Ensuite, pas très loin, il y avait l'école Saint André (de son vrai nom Ferdinand Buisson) filles et garçons, école que j’ai fréquentée aussi. En face, il y avait le marchand de bonbons Dahan (on l'appelait Hugo), puis l'église Saint André sur la Place du Colonel Ben Daoud, et en haut « La Concorde ». La Concorde était une salle de sports où j'allais m'entraîner et où je faisais du sport. « L'Alliance » était une école hébraïque. Nous y allions pour apprendre l’hébreu afin de pouvoir faire notre « Bat Mitsva » (communion juive).

Quelle tristesse d’avoir quitté notre si beau pays, Oran qui aujourd'hui semble subir encore cet abandon. Le temps a passé, j'ai perdu mon papa YAHO le 12 avril 1996. Il avait 90 ans, que son âme repose en paix. Il était tout pour moi. Pour ceux qui ne l’ont pas connu, Papa avait une épicerie à Saint Antoine, 9 rue Interne Ginet en face du Café maure et à l'angle du coiffeur Félix. J'ai travaillé avec mon père et, bien sûr avec mon frère Jacquie. Après l'école, j'arrivais au magasin pour donner un coup de main. Selon les clients, que parfois je servais, j’étais tour à tour Max ou Maxo ou Manou, ils m'appelaient comme çà… Quand arrivait « Pessa’h » (la Pâque Juive) il m’arrivait d’accompagner le transporteur Hassan, dans son camion, pour aller à Eckmühl chercher « la galette » (galette au pain azyme, sans levain) : 4 ou 5 tonnes de galettes pour la clientèle. Alors il fallait voir çà : on déchargeait le camion et moi je contrôlais les paquets de 1 kg au déchargement. Maintenant que je n'ai plus mon père, lorsqu’arrive la Pâque juive je me remémore ces années-là en pensant à lui…
Ceci est un échantillon que je vous donne alors et j'en passe ; je pourrais en faire un livre, c'est au programme, je vais le faire.

Pour ce qui concerne Maman, elle est encore en vie, elle a 95 ans et souhaitons que Dieu lui prête vie jusqu'à 120 ans, comme on dit chez nous; pour elle, la santé c'est moyen, comme une personne âgée.

Je me souviens aussi, j'allais tous les vendredis chez le coiffeur Félix qui était à l'angle de la rue de Calvi et de la rue Interne Ginet à Saint Antoine. Pour situer Saint Antoine (la place Laurence comme on disait), tout d'abord, en face de chez Félix il y avait le mécano, à côté du mécano il y avait la boulangerie Rosiqué, à côté Lolo le boucher (Bensoussan) où ma mère achetait la viande. Il avait deux garçons, Richard et Paulo, puis à côté il y avait un café où j'allais jouer au baby-foot avec les copains. En face il y avait Darmon l'épicier, puis Karsenty les céréales, puis on arrivait au cinéma « Victoria » qui est devenu aujourd'hui une pharmacie- café-épicerie. Puis, je continue, le grand café où il y avait la kémia (les fèves, les anchois, les tramoussos et j'en passe). Juste en face de ce café il y avait un grand arbre dans lequel je jouais. Je grimpais aux branches, jusqu'en haut (on m'appelait Tarzan pour vous dire !), puis à côté il y avait un ébéniste, on y fabriquait des meubles.

Dans la rue de Calvi (angle du salon de coiffure Félix) il y avait Charbit le bijoutier, à coté Paco le pâtissier, puis l'épicerie Amouzig, en face le tailleur Dray et au bout de la rue on arrivait à la rue de Tlemcen qui, prolongée par l’avenue d’Oujda aboutissait aux Arènes d'Eckmühl sur la gauche, et les Cafés du Brésil à droite…
Voila, j’ai fait le tour de mon quartier où mon père tenait son commerce.
Maintenant pour ce qui concerne la communauté juive pied-noire, après l'indépendance nous nous sommes dispersés de par le monde malheureusement… J’espère que quelques gamins de Saint Antoine, de toutes confessions, se souviendront, en parcourant ces lignes, d’avoir déambulé dans ces rues, du temps heureux de nos jeunes années.

Pour ce qui concerne le quartier juif, il y avait la grande rue de la Révolution qui commençait à la Place d'armes et allait pratiquement jusqu'à la Place du Colonel Ben Daoud d’où partait sur la droite la rue Léoben (il y avait un bain d'Ephraïm dans cette rue), puis toujours dans le quartier on ne peut pas ne pas citer la Rue des Juifs qui, en fait s'appelait la rue d'Austerlitz. Il y avait de nombreuses petites rues, par exemple, ma grand’mère habitait 3 rue Damiette. Pour accéder à cette rue il y avait une descente, de grands escaliers, puis pas loin j'allais jouer au baby-foot dans un café avec des copains du quartier.

Pour terminer, permettez que j’énumère quelques fêtes juives dans l'année :
- Bichevat (la fête de l’ arbre, 15ème jour du mois du Chevat dans le calendrier juif et qui marque le début d’une nouvelle l’année pour les arbres),
- Roch Hachana (nouvel an du calendrier hébraïque),
- Yom Kippour (jour du Grand Pardon, jour de jeûne),
- Soukkot (une des trois fêtes de pèlerinage du judaïsme),
- Hanoucca (fête qui dure 8 jours, commémorant la consécration de l’autel des offrandes et pendant laquelle le Chandelier de Hanoucca reste allumé),
- Pessa’h (fête qui commémore l’exode des hébreux hors d’Egypte, Pessah marque la naissance des enfants d’Israël),
- Chavouoth (fête qui commémore le don de la Torah et des Dix Commandements aux Hébreux. Avec Soukkot et Pessa’h elle est l’une des Trois fêtes de pèlerinage marquant l’année).

49 ans ont passé et voila, on a essayé de s'habituer à la vie lyonnaise, on n'a pas eu le choix c'est la vie, on n'y peut rien.
Pour la communauté juive d'Oran, nous nous sommes tous dispersés dans tous les coins du monde, ce fût une grande déchirure pour nous tous .

Voilà j'espère n’avoir pas été trop bavard car je vous signale que j'ai toujours la nostalgie de là-bas, mes racines, mon pays où je suis né.

J'espère que mon témoignage vous aura fait revivre les petits et grands souvenirs de notre cher et tendre pays qu’on ne peut pas oublier. Si Dieu le veut, je retournerai revoir mes racines à Oran, je sais qu’elles ne seront pas les mêmes que celles que j'ai laissées, mais ce n'est pas grave, ce sera tout simplement pour enlever le poids que j'ai sur mes épaules depuis 49 ans .

Max Alzerah fils de l'épicier de la rue Interne Ginet au n°9, en face du Café maure à Saint Antoine

Commentaires (4)

Sebag
  • 1. Sebag | 24/08/2023
Bonjour
Mon grand père habitait 3 rue damiette si quelqu’un s’en souvient je laisse mon mail pour m’en en parler un peu plus
Il s’appelle jean pierre sebag et de la famille travailler dans une boulangerie .
Mail : ichaisebag0601@icloud.com
ELODIE BENSOUSSAN
  • 2. ELODIE BENSOUSSAN | 11/05/2021
Cher Monsieur,

J'ai découvert votre page la semaine dernière qui m'a bouleversée. Grâce à vous, je viens de retrouver la trace de la famille de mon père (décédé en 2007) à Oran. J'avais toujours ignoré où il avait vécu à Oran et c'est une grande émotion pour moi de retrouver sa trace et son quartier. Mon père s'appelait Richard Bensoussan et mon grand-père Léon Bensoussan tenait la boucherie sur la place Laurence dont vous parlez. Son frère s'appelait Paul et ma grand-mère Eliane. Pourriez-vous m'en dire plus sur eux et sur la localisation exacte de la boucherie? Je serai très heureuse d'avoir votre retour.

Elodie Bensoussan
Mail: elodie.m.bensoussan@wanadoo.fr
CANDELA JOSIANE
  • 3. CANDELA JOSIANE (site web) | 06/03/2019
merci MAX pour ce beau récit, oui, on s'y retrouve TOUS DANS CES QUARTIERS DE NOTRE BEL ORAN.
on n'oubliera jamais nos racines - nous sommes trop sensibles et les circonstances de notre départ ont été si douloureuses - mais il nous faut tourner la page - moi aussi mon papa était épicier - moi aussi j'en suis à mon troisième livre mais un seul est partagé avec mes amis D UN BOUT A L AUTRE DE LA MER... ET MAINTENANT J ECRIT CELUI DE BLOND BLOND... amitiés oranaises. ET MERCI ENCORE.
zammit michel
  • 4. zammit michel | 12/01/2017
Permettez moi de vous transmettre une citation d'Albert Camus !!

" Comme une mère , une terre natale ne se remplace pas !! "

Je pense que cette citation est de plus en plus ressentie ,par les anciens Français d'Algérie , au fur et à mesure que les années passent .

amitiés à tous

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Date de dernière mise à jour : 07/03/2019