Mon dernier Pourim à Tlemcen

MON DERNIER POURIM A TLEMCEN.

Texte de Patrick Bénichou copyright.

C’était l’année qui précéda notre départ pour la Métropole. Malgré le climat politique très tendu et les attentats meurtriers quotidiens dans les villes d’Algérie française, les amoureux continuaient de se promener Rue de France,  les sorties du dimanche en voiture à la Grande Cascade et à la Forêt des Pins se poursuivaient, même si elles étaient plus brèves en durée et plus rares qu’autrefois .

Les militaires français occupaient les carrefours et les points névralgiques de la ville dont la terrasse de l’immeuble de mes grands -parents paternels Ichoua et Esther Bénichou, faisait partie. Quatre jeunes bidasses étaient là en permanence avec leurs mitraillettes, disposant d’une vue imprenable sur les remparts du Méchouar et sur l’Esplanade. Ils se prêtaient aux prises de vue d’un dernier film tourné par mon cher père Armand, souriants, pitres et aimables. Dans les maisons les ménagères préparaient des plaques entières de gâteaux de Pourim et tous ces parfums de pâtisseries, de miel et d’amandes annonçaient la venue du printemps. Quelques cigognes perchées sur les remparts évoluaient avec une certaine indifférence, à la recherche de branchages pour consolider leurs nids, avant de reprendre leur progression vers l’Afrique et le Moyen Orient.

Dans nos têtes d’enfants de 7ans,  Esther et Mardochée étaient des héros au même titre que Batman Superman ou Zorro. Il y avait eu une grande fête de Pourim dans la salle de réception de l’ l’Hôtel des Voyageurs qui était contigu à l’immeuble Bénichou, Esplanade du Méchouar.

A cette occasion, tous les enfants de la Communauté étaient venus déguisés ; j’avais choisi une tenue de « matelot » et j’avais enfilé la panoplie complète avec les jumelles autour du cou , mais il y avait aussi des princesses, des rois, des clowns, des pompiers, des dompteurs, tout cela dans une ambiance musicale, qui semblait ignorer totalement, la tragédie qui allait se produire dans quelques mois, pour nos parents.

Je me souviens que ce jour- là, je n’étais pas de très bonne humeur, car quelque part en moi, je percevais une contradiction entre la situation stressante que nous vivions depuis 1954 et cette fête légère, agréable, mais quelque part « fellinienne, ubuesque ». Je pressentais alors malgré mon très jeune âge, la gravité de la situation, en écoutant depuis quelques mois des bribes de phrases : « guerre, attentats, blessés, danger, partir, situation, futur, Paris…. » Même le Syndicat d’initiative de la ville semblait être devenu aveugle car il vantait les mérites de la ville, parlait de « l’avenir du tourisme à Tlemcen et de ses bienfaits », alors que nous étions en pleine guerre avec le couvre-feu à 21 heures et la peur constante des attentats…Il y avait quelque chose de décalé, d’indécent, dans cette cécité du ‘monde des adultes’. Elle était bien entretenue il faut le dire, par le Gouvernement français de l’époque. Bientôt les masques de Pourim tomberaient brutalement, le véritable « Grand Aman » serait démasqué, ainsi que sa forfaiture, mais il serait trop tard. Lui en tirera profit, en se présentant une fois de plus, comme « sauveur de la France ».Nos parents et nous, serons les grands perdants de ce sale marché politique.

En juin 1962, les français d’Algérie prendraient leurs valises, laissant tous leurs biens derrière eux, pour échapper à la peur, aux sévices et à la mort. Le Grand Aman de notre histoire des juifs, des chrétiens et des harquis d’Algérie se débarrassera enfin « …de ce boulet que la France trainait » en trahissant sans aucune hésitation des milliers de patriotes, de gradés et de familles, jetés brutalement dans la tourmente et l’inconnu. Quant aux mouvements musulmans qui souhaitaient alors alors se dissocier du FLN et trouver une « solution juste et équitable avec les pieds noirs », venant même à Paris pour négocier avec le Général, leurs leaders disparurent brutalement dans des accidents ou furent assassinés. Je vous laisse deviner par qui ……

Commentaires (1)

Bénichou Patrick
  • 1. Bénichou Patrick | 09/03/2017
Merci à tous ceux qui partagent nos valeurs communes et notre ouverture sur le monde.
Le groupe facebook AJTM, Amis du judaisme tlemcenien dans le monde, vous invite a également nous rendre visite. et à participer.
Hag Pourim saméakh à tous et à toutes.

Patrick Bénichou
06 60 42 54 08

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