Monsieur Jean

"Monsieur Jean" de Gérard Haddad Éditions Hémisphères. 130 pages 4 avril 2017

Monsieur jean

Monsieur Jean, c’est l’histoire d’une famille dont « chaque membre se vit comme un étranger parmi les siens » et parmi lesquels, Édouard en quête de mots qui pourraient colmater ses fissures.

Édouard. Un prénom à faire mentir l’histoire, son histoire. Qu’il ne connaît pas, d’ailleurs. Pourquoi sa mère, Myriam l’Oranaise, fille de Simon, fils de Jacob, a-t-elle formé avec Riade, frustre montagnard berbère, cette improbable famille où régnait la terreur et dont il est le fruit ? Dans sa fuite en avant, Édouard va rencontrer l’affable et mystérieux Monsieur Jean, qui en quelques mots emprunts d’une politesse intemporelle, lui ouvre les portes de sa bibliothèque alors qu’il était venu le cambrioler.

Une saga qui met en présence, en Algérie, par les hasards de la Deuxième Guerre mondiale, les membres de deux familles de culture et de religion différentes : des juifs oranais citadins, des ruraux musulmans. De part et d’autre, de violents conflits avec l’autorité paternelle ont entraîné la rupture. Et les descendants nés de ces deux mondes irréconciliables sont, à leur tour, porteurs de ce conflit irrésolu qui leur a été légué.
Est-ce l’analyste qui témoigne de vies cabossées, détraquées ou le (jeune) romancier qui met en scène des personnages déchirés dans une histoire compliquée ? Quoiqu’il en soit, (l’un ne pouvant sans doute être dissocié de l’autre), Gérard Haddad offre un roman particulièrement construit, proposant une lecture de séquences en séquences où chacun des protagonistes se livre en un chapitre. Leurs histoires, comme les vies, se croisent, s’emmêlent, se précipitent… De son écriture sobre et forte, l’auteur explore et raconte une histoire sans nom faite de sautes d’humeur, de sentiments douloureux mais aussi de rencontres, d’amour et d’espérances. Monsieur Jean, un roman qui donne rendez-vous comme s’il se savait attendu...

Extrait :

- Jeune homme, savez-vous l’heure qu’il est ?
Édouard avait tout imaginé sauf d’entendre ces mots qui allaient se graver dans sa mémoire comme de l’eau forte sur une plaque de cuivre. Comment y répondre ?
- Nnn, non, Monsieur.
- Il va bientôt être cinq heures, et savez-vous ce que l’on fait à cinq heures ?
- Nnn, non, Monsieur.
- On prend le thé. Nous ferez-vous le plaisir de prendre une tasse de thé avec nous ?
Édouard n’avait jamais autant bégayé. Tous ses repères, en un instant, s’envolèrent. Il ne comprenait rien à ce qui lui arrivait, à cet étrange dialogue, à ce que cet homme lui disait, lui voulait. Envahi par un incontrôlable vertige, tout lui paraissait irréel. Et d’abord cette invitation : lui, le voyou, prendre le thé !...

Quelques mots qui vont le sauver, lui, l’apprenti monte-en-l’air. A Édouard désormais de renouer avec le fil de ces deux destins étranglés par des trahisons indicibles, des serments bafoués et, par-delà, de deux familles meurtries par la folie des guerres. Pour mettre enfin, peut-être, des mots sur cette histoire sans nom. Comprendre d’où l’on vient pour savoir où l’on va. Analyste, Gérard Haddad se fait romancier pour raconter une histoire de famille et à-travers celle d’Édouard qui a besoin de réponses, de repères pour se (re) construire.
Il nous faut reprendre tout cela, lui dit le psy, reconstruire votre histoire. C’est ce qu’il nous faut entreprendre.
- Elle commence où mon histoire, selon vous ?
- Comme pour chacun, bien avant votre naissance, et même sur trois générations. »
Le psy avait-il raison ?...
Mais que de fois, sans qu’il s’y attende, des souvenirs lointains lui étaient revenus en bouffées (…) Surgissait surtout en son esprit le beau visage, si pâle, de Myriam, sa défunte mère, avec cette question : Pourquoi a-t-elle haï, jusqu’à son dernier souffle, et avec une telle violence, son propre père ?

Mireille SANCHEZ

Né à Tunis, ingénieur agronome, Gérard Haddad entreprend des études de médecine et devient psychanalyste après une rencontre décisive avec Jacques Lacan. Il est aussi connu pour son œuvre d’écrivain et de traducteur de l’hébreu et a publié, entre autres : Manger le livre (Grasset, 1984), Les Biblioclastes (Grasset, 1990), Le jour où Lacan m’a adopté (Grasset, 2002), Le péché originel de la psychanalyse (Seuil, 2007), Tripalium. Pourquoi le travail est devenu une souffrance (François Bourin, 2013), Dans la main droite de Dieu : Psychanalyse du fanatisme (Premier Parallèle, 2015), Le complexe de Caïn (Premier Parallèle, 2017).

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Date de dernière mise à jour : 03/08/2017