LE POURIM D’ALGER de 1541
Par Caroline Elishéva REBOUH
Entièrement recouvert de sa grande cape noire Palomo Alvarez se glissa hors de cette maisonnette d’allure modeste dans laquelle il avait vécu depuis sa naissance. Les ombres de la nuit s’éparpillaient avec le zéphyr frais du matin.
Il s’élançait subrepticement dans les ruelles de l’Albaicin[1]et il entendait le bruit des eaux du Darro qui s’écoulaient. Il fallait qu’il arrive au palais pour être entendu très tôt par le chambellan de l’Empereur Charles[2], Empereur de l’Empire Catholique Romain.
Les vestiges de l’occupation arabe en Espagne et, plus encore en Andalousie[3] se trouvaient partout. L’Alhambra lui-même n’avait-il pas été construit lors de la conquête de l’Espagne ? Tous les noms de bâtiments, de quartiers évoquaient cette présence arabe…………
Palomo savait qu’il se devait d’arriver très tôt pour passer tous les barrages au palais et il n’ignorait pas que seule la chance l’aiderait à se faufiler sans trop éveiller les soupçons. Sa mission était d’autant plus importante que la récompense qu’il recevrait lui permettrait de faire vivre tranquillement toute sa maisonnée.
En arrivant au palais, il aperçut de nombreux courtisans que l’on remarquait de loin par les différents insignes honorifiques qu’ils arboraient. Les gardes officiels, munis de leur demie armure et d’un casque rutilant brandissaient leur lance qu’ils entrecroisaient lorsque l’entrée d’une salle était interdite. Palomo se tint à l’écart tout comme le lui avait recommandé Don Cristobal del Pilar, le chambellan. Peu de temps après que Palomo fût arrivé, un garde se tint devant lui et le pria de le suivre. Sans mot dire, Palomo suivit le garde dans l’enfilade des corridors puis on le fit entrer dans un bureau aux tentures cramoisies ornées de vieil or et le mobilier sombre inspirait le silence. Palomo fut prié de prendre place et quelques instants, qui lui parurent des heures, Don Cristobal fut annoncé. Palomo se redressa. Le chambellan lui fit signe de se rasseoir puis fit un signe de la main pour qu’on les laisse seuls. Cristobal engagea Palomo à livrer ses informations.
Les deux hommes échangent leurs propos à mi-voix : ils craignent que des serviteurs ne les surprennent : les navires des combattants de l’Empire Ottoman sont dispersés en Méditerranée. Leur armée est gigantesque et terrifiante. Cette flotte ennemie est postée non loin des côtes des « Barbaresques ». Cristobal a aussitôt monté son plan de bataille. Il saisit dans l’un des tiroirs de son bureau une bourse remplie de pièces d’or. Palomo s’esquive et regagne son logis de manière aussi agile et prudente qu’il était parvenu à l’Alhambra.
Cristobal, qui, tout comme Charles Quint avait reçu une éducation très catholique pense qu’en attaquant il pourrait faire d’une pierre deux coups : faire battre en retraite les Ottomans et, d’autre part pourquoi ne pas continuer l’œuvre d’Isabelle la Catholique et de Ferdinand d’Aragon qui, en promulguant l’Inquisition avaient persécuté les Juifs d’Espagne dont certains avaient fondé en Afrique du Nord de fortes communautés juives et pousser ces gens dans leurs retranchements ?
Cristobal del Pilar, se rendit chez le roi pour lui proposer son plan… Charles Quint fut séduit par ce projet et laissa carte blanche au chambellan lequel convoqua le chef d’état-major et l’amiral de la flotte impériale et donna ainsi les ordres afférant à cette expédition.
Les navires furent immédiatement révisés, l’armée réquisitionnée et les nombreux navires espagnols chargés à outrance de vivres et d’armes se dirigèrent vers les côtes d’Afrique du Nord et plus précisément vers la Tunisie. La population ne fut guère préparée aussi l’attaque-surprise fit-elle des ravages tant auprès de la flotte ottomane que parmi la population juive de Tunis dont les chroniques rapportent qu’un nombre impressionnant de victimes fut déploré alors[4]. Et, au cours de la même expédition, les Espagnols prirent les Juifs installés à Tripoli (en Lybie) en chasse et les expulsèrent de ce territoire. Ceci eut lieu en 1535.
La flotte remporta un triomphe en rentrant dans les différentes villes où la population lui fit un triomphe. Quelques années plus tard [5], il fut décidé que la bataille de 1535 n’avait remporté qu’un succès relatif et que si l’on voulait se débarrasser totalement de la présence ottomane dans cette partie du bassin méditerranéen, il convenait de battre cet envahisseur totalement . L’amirauté mit au point un plan de bataille gigantesque : Ce seront plus de deux cents navires de guerre avec armes et bataillons qui se déchaîneront contre les Ottomans. Dès le début du mois d’octobre 1541, les navires se postèrent en vue de la baie d’Alger. La nuit l’armée débarque et occupe les bastions jusqu’à bloquer les grandes et petites agglomérations. Ceux qui avaient survécu à l’Inquisition et avaient trouvé refuge à Alger notamment furent inquiets et tremblaient d’effroi.
Les vents violents d’un automne qui se terminait, provoquèrent un remous marin gigantesque. Les navires espagnols secoués par la tempête s’entrechoquent et coulent à pic avec leur cargaison, leurs armes et les armées. C’était le 23 octobre 1541. Devant les éléments déchaînés et son armée entièrement défaite, l’ordre fut donné aux quelques dizaines de navires restant de regagner la péninsule ibérique.
Une coque de navire ayant échoué devant le port d’Alger, la population juive passant de l’effroi à l’allégresse, se saisit de ce bois pour en faire la téva d’une synagogue d’Alger : la synagogue d’Abantoua. La fuite de l’armée espagnole à la suite de cette tempête inopinée prouva à la communauté juive que le Tout Puissant à l’écoute des prières ferventes de Ses fidèles avait sauvé Son peuple in-extremis.
Ainsi que cela s’est souvent produit au cours de l’histoire juive, des miracles eurent lieu et furent désignés sous l’appellation de POURIM SPECIAL. Ce miracle survenu à Alger fut commémoré très longtemps aux dates des 3 et 4 heshvan avec une journée de jeûne et une de fête.
Caroline Elishéva REBOUH
[1] Grenade, ville royale où les Arabes avaient commencé à construire le palais royal en 1238 : l’Alhambra déformation du mot « al hamra » qui signifie le rouge à cause de la teinte des pierres utilisées dans cette construction qui fut complétée au long des siècles. L’Albaicin est un quartier de Grenade particulier de par ses étroites ruelles.
[2] Charles Quint, Roi d’Espagne de 1516 à 1556, né en 1500 et mort en 1558. Il fut Empereur du Saint Empire catholique romain pendant 40 ans.
[3] Le nom Andalousie provient du mot Vandale : les vandales qui avaient occupé cette partie de l’Espagne en détruisant tout sur leur passage. Le nom de la province aurait dû être la Vandalousie et le nom devint « Andalousie »
[4] Furent déplorées plus de 70,000 victimes.
[5] Six exactement, en 1541.