Témoignage de Lucien Gozlan
Témoignage de Lucien Gozlan sur le blocus de Bab el Oued ,la fusillade de la rue d’Isly et les événements qui ont suivi( 19-28 mars 1962)
Nous remercions Lucien Gozlan dit "Lulu de Bab el Oued" de nous permettre de publier son témoignage. Jeune-homme d'une vingtaine d'années habitant au coeur de bab el Oued avec ses parents, il a vécu de pein fouet les évènements dramatiques qui se sont déroulés dans ce quartier d'Alger . Avec son style et son verbe bien typique des pieds-noirs, il nous relate comment avec sa famille et ses amis, il a pu avoir le courage de surmonter ce drame.
20 mars 1962.
Dans 3 jours, Bab el Oued va connaitre des événements sanglants.
Hier, c’ était le 19.
Je suis sur mon balcon il n’y pas beaucoup de passants sur les trottoirs. J’habite au 14 avenue de la Bouzaréa au premier étage. En dessous se trouve le magasin de Borras et Sampol, en face il y a la Grande Brasserie.
Hier soir, avec tous mes copains je voyais des jeunes aller et venir dans la plus belle avenue de Bab el Oued, des patrouilles de l’armée française se faufilant parmi les nombreux passants.
Leur chef de patrouille place quelques soldats en station repos, arme au pied, environ tous les 10 mètres car il faut qu’ils arrivent à se voir les uns les autres, pour se sentir sécurisés.
C est drôle, il y a des européens mais également des musulmans, [ c est la force locale ]
Nous, on a vingt ans, on boit et on rit, et même on déconne sur la tète d'un soldat, mal rasé, et aussi mal fringué.
Son froc est plus grand que ses jambes.
Il a compris qu’on se moque de lui, nous , nous partons dans des moqueries vulgaires, et même irrespectueuses.
Normal, c est un m....
Le ton monte, des insultent sont lancées, les moqueries partent de plus belles, il y a des bousculades, le soldat recule, il se sent en danger, relève son fusil, un mas 36, arme la culasse. Il est prêt a tirer sur un éventuel agresseur.
Mon père est au balcon, en face du café, il crie au chef de patrouille : Arrêtez, faites le partir sinon il va tirer.
Voila, l’altercation s est apaisée, les couillonnades peuvent continuer. On n a pas prie conscience d un danger réel.
Cet après-midi la rue n'est pas encore grouillante. C’est mon copain Sydney BITON qui habite rue Barras, juste un peu plus haut a gauche, qui passe en dessous du balcon.
Je lui crie : '' pourquoi tu coures ? ''.
« Ils ont signé le Cessez le Feu !!! »
C est jeudi 22 mars, il y a un mot d ordre : demain matin, rendez vous a la rue Eugene Robe.
Mon copain, Vidal avec sa femme sont venus me voir voila 3 jours ; je suis a mon balcon, ils veulent que je descende. Ils me remettent des tracts a poster dans chaque boite a la lettre de ma maison avec un croquis pour confectionner des cocktails Molotov.
Vendredi matin 23 mars, il n y a plus aucune voiture qui circule, dans la nuit, des mecs de l OAS ont jeté des clous à 3 tètes, dans le projet de stopper toute tentative de se servir de son véhicule.
Moi, je suis devant le café de Lolo, à l’angle de la rue Koeklin et de l’ avenue de la Bouzaréa, en face c est la rue Champlain.
Mon copain MAESQUES habite à coté du monteur de pneus, Bernard.
Il est 10 heures, je décide d aller voir à la rue Eugene Robe comment cela se passe.
Le temps n est pas au beau, j ai un blouson Loden, je prends le jardin Guillemin, l avenue de la Marne, je dépasse la rue Lestienne et je tourne a droite pour m engager dans la rue Géricault.
Il y a un grand bourdonnement, peut-être 500 ou 800 personnes sont rassemblées des deux cotés de la rue Eugene Robe, un trottoir sous les arcades, de l'autre coté c est le jardin Nelson.
Moi, je marche sous les arcades, en direction du Lycée Bugeaud.
Je tourne ma tète de temps en temps, pour voir si je rencontre une connaissance. Il y a beaucoup de monde.
La rue est désertée par les voitures, une patrouille de soldats, armes vont rejoindre la caserne Pellicier qui est au bout de la rue.
Le bourdonnement de tout a l heure a fait place à un silence de mort.
J entends un coup de sifflet et 500 civils, d' un seul envol, se ruent sur la patrouille, les armes sont récupérées, beaucoup de personnes se sauvent, moi je m engouffre dans l' entrée d un immeuble sous les arcades. J' entends des explosions de deux ou trois grenades offensives, les armes ne sont plus entre leurs mains.
Dans la cage d'escalier, une porte s ouvre : '' Montez au deuxième, on va vous ouvrir''
Une porte s ouvre : on nous conseille de marcher sur une cour, puis de passer de l'autre coté du pâté de maison dans l avenue de la Marne.
C est en rejoignant l immeuble en face que je rencontre mon copain Mat..., il a une Mat dans les mains, des locataires a un étage supérieur lancent des cordes pour récupérer les armes.
Mat... me dit : '' Lucien, qu est ce que tu fais la..? ''
Et moi, pas étonné de le rencontrer, je lui réponds: '' Je me promène. !!!''
On passe de l' autre cote à l avenue de la Marne, il me dit :
'' Merde, j ai ma convocation pour la mobilisation dans ma poche ».
Je lui dis : '' Tu n’as qu’à la cacher sous les escaliers de l’entrée, tu viendras la rechercher cet aprem.''
J arrive chez moi, il y a une grande animation dans la rue, mais aucune circulation de voiture.
Je suis au balcon, des bruits circulent, on entend quelques bruits, c est des tirs d armes a feu. cela vient du cote du cinéma Plaza.
22 mars 1962.
Apres l 'échec du putsch du mois d avril 1961, la résistance pour l Algérie française s est organisée et s’ est étendue dans l ensemble des trois départements de la France. [ du moins c’ est ce que l on veut continuer a nous faire croire, alors que nous sommes conscients que les 3 départements sont des colonies de la métropole ]
La résistance de l’ Algérie française est bruyante, il y a des fois des nuits blanches, j ai souvenir de la nuit bleue.
Je suis sur mon balcon, au 14 avenue de la Bouzaréa, j ai compté le nombre de «stroumgas « (1).
On nous avait bien annonce une nuit bleue : Il y a eu 100 bombes.
Dans ma famille, nous avons eu des morts, le frère de mon père, un des premiers assassinats, au Clos Salembier ; un second, il était adossé sur un des lampadaires des bombes de la Grande Poste ; le troisième a été assassiné en aout 1961, à Belcourt, il avait le magasin Richard'son.
A Bab el Oued, on est temoin de nombreux règlements de compte.
On dit que les victimes sont des barbouzes.
J ai le souvenir, en me promenant dans l’avenue de la Marne, d’un homme à terre, couché sur le ventre dont on ne voit pas le visage, son chapeau est a cote de lui et il y a un filet de sang qui coule sur la chaussée vers le caniveau ; il est allonge sur la route, tout prés du trottoir de gauche. Sous les arcades il y a le restaurant Les deux frères, en face, c’ est la librairie Riveill.
Une autre fois, un homme vient d être abattu au jardin Guillemin, il y a un attroupement, je rencontre mon copain Gonzalo du Collège, il y a une bousculade, des gens crient, une femme fait une crise de nerf, elle est infirmière a l hôpital de Mustapha.
Elle dit dans une crise de larmes : '' j en ai marre de tous ces morts, venez avec moi au travail, l’hôpital est rempli de cadavres ...''
L homme a essayé de se refugier dans la petite épicerie tenue par des moutchous (2). Un peu plus haut, se trouve la pharmacie qui fait l angle avec l avenue de la Marne.
Un après midi, je suis avec un copain devant le café de la rue Eugene Robe, en facede l église St Vincent de Paul. Des coups de feu claquent, juste à coté de la rue Lestienne et on voit deux personnes sortir de l' immeuble 2 rue Lestienne en courant et rentrer dans une voiture qui accélère pour disparaitre vers la rue Borely La Sapie.
Avec mon copain, on courre vers l entrée de la maison, il y a un silence de mort dans toute la rue.
On monte les escaliers, 1er etage, 2 eme etage, avant d arriver au 3 eme etage, il y a un homme affalé sur les escaliers, une main s accroche aux barreaux de la rampe sur sa droite, il rale, il a pris a la tete, qui a explosé, au moins deux balles, des 11/43.
Il n 'y a personne qui est sorti dans les etages.
On redescend, la peur au ventre.
Il aurait été possible qu on nous prenne pour les assassins ???
On est presque a la fin de l' année 1961, il y a eu une explosion tout en bas de l avenue Durando, 2 mauresques ont jette une grenade dans un tram, il y a certainement des morts et des blesses.
Elles sont au boulevard de Provence, a cote c est le commissariat du 5 eme, elles courent vite et rentrent dans le commissariat.
Les flics les mettent en prison.
Il y a une foule de gens qui ont couru derrière elles.
Je suis sur mon balcon, j entends une clameur qui vient du bas de l’ avenue Durando, j apercois des mouvements de populations, je descends, il faut que je vois ce que c est.
J arrive devant l’entrée du commissariat, il y a au moins 30 personnes qui crient, la grille en fer forge a été fermée par les flics.
Des manifestants crient devant la grille fermée : ''...donnez nous les, donnez nous les...!!!!''
Un autre cri est lance : ''... enfonçons la grille..''
Les flics à l intérieur, retiennent du mieux qu ils peuvent cette forte charge, ils n y arriveront pas, elle cède sous la violence de la poussée de la foule.
La foule s engouffre, une femme devant moi crie : ''..A mort, à mort les mauresques...!! ''
et puis quelques secondes après, on sort les 2 mauresques, la foule leur assene des coups de poings au visage, elles sont balancées comme des poupées de poing en poing, elles tombent par terre.
Alors la, c’ est des volées de coup de pieds, partout, partout, partout.
Le sang gicle de toute part ,c est la première fois que j assiste, en direct à un jeu de massacre, les cheich sont maculés de sang, les corps ne bougent plus...
Voila, je remonte chez moi, le spectacle a été trop violent.
Demain c est le 23 mars 1962.
Lulu de bab el Oued
le 23 mars 1962.
Dans la nuit, des hommes de l OAS a Bab el Oued ont lancé des clous a 3 tètes sur toutes les grandes rues du quartier, il est impossible de circuler en voiture, des attroupements se font de plus en plus et principalement aux cafés habituels des hommes de Bab el Oued.
Il y a eu de nombreux mots d ordre qui ont été lancés.
La plus inquiétante nous déclare que Bab el Oued est considéré comme une zone française libre, interdite à l’armée de 2 gol.?
On a demandé a la population de prévoir dans chaque appartement des coktails Molotov et on a donné des instructions pour fabriquer soi même ces bombes.
La totalité du quartier se retrouve en zone insurrectionnelle contre l’armée de 2 gol.
C est vers les 9 heures du matin que le premier accrochage se produit.
Un camion militaire qui arrive d El Kettar par l avenue du Gal Verneau dépasse le cinema Plaza et veut s engager a l interieur du quartier.
Il est stoppé au petit jardin de la Pl Desseix, à l » entrée de la rue Condorcet et de la rue Livingstone par des hommes en armes de l OAS. Cette patrouille est composée d une force locale, européens et musulmans.
Au moment d intercepter ces soldats par ces hommes armés, il y a le bruit d une culasse qui arme pour faire feu sur les civils qui voulaient désarmer les soldats.
S ensuit un déluge de feu et de claquements de tirs automatiques et de rafales de mitraillettes. Le camion des soldats s emballe comme pour vouloir fuir la fusillade, il sera stoppé contre un mur des cigarettes Bastos, rue Christophe Colomb.
Deuxième intervention contre une autre patrouille militaire, cette fois c est a la rue Eugene Robe, il est presque 11 h du matin.
Apres l’ incident de la rue Eugene Robbe, je rentre chez moi, des gens courent des fois pour ecouter certaines personnes qui ont des infos sur ce qui s est passe chez Bastos.
Moi je suis au balcon, je suis aux premières loges.
C est midi, on mange. Ma sœur cadette travaille aux Cheques Postaux, elle est toujours avenue du 8 novembre.
La situation s est aggravée, les inspecteurs des CCP libèrent tous les employés prématurément.
Pour rentrer a la maison, elle va traverser l avenue de la Marne, mais deja les militaires de la caserne Pellicier sont sur le pied de guerre, ils ont commencé à isoler tout le quartier de BEO, et on ne peut plus rentrer a partir du jardin Guillemin.
Il y a des tirs et des rafales de mitraillette, ma sœur est avec une autre copine, elle habite a la cite du Doct Taboulay avant d arriver à St Eugene.
Elles sont bloquées au kiosque a journaux, la ou il y a l’ arrêt du tram.
Un militaire lui interdit de prendre l’avenue de la Bouzaréa.
Elle continue donc dans la rue Montaigne et a la 2 ème rue à droite elle descend par la rue Cavelier de la salle pour rentrer vite dans l entrée de notre maison a 10 mètres.
Nous sommes donc au complet dans notre famille.
Ma soeur ainee habite a la rue Lestienne, avec le telephone on lui conseille de rester chez elle, elle vient d avoir un garcon, il a 2 mois.
Lulu
Lulu de Bab El Oued
Aujourd hui 24 mars 1962.
La nuit a été plutôt calme, mais revenons a hier après midi.
Apres le déjeuner, ma mere me dit : '' j ai envie d aller au cimetière, on est vendredi,''. mon grand pere est décédé voila un peu plus de 2 mois.
Je lui réponds : '' on ira plutôt dimanche.''
On a des appels de la famille : '' ca va ? ''
Des tirs se font de plus en plus fréquents, nous on a ferme les persiennes, du 1er étage, on entend des hommes qui parlent juste en bas, il y a de temps en temps des rafales de mitraillettes.
Et puis c est une bataille générale qui se déroule juste devant notre balcon, l armée de 2 gol a décide de pénétrer dans le quartier.
La bataille est assourdissante, on a décide de ne plus rester dans les 2 chambres cote balcon, on reste confine dans les chambres du fond.
Quand le téléphone sonne a nouveau, c’est a plat ventre que l on rampe pour repondre.
On suit les bourdonnements des avions qui semblent arriver de Saint-Eugene pour poursuivre leur route en basse altitude en direction du lycée Bugeaud.
Des rafales de mitrailleuses claquent de façon continue sur les terrasses de toutes les maisons qui font face au jardin Guillemin.
Le téléphone sonne a nouveau, c est mon copain Jacky qui téléphone, il est reste avec ses frères devant l entrée de leur maison a la rue Koeklin : '' Lucien, l’armée, elle se rend, elle a mis le drapeau blanc sur leur véhicule.? ''
Probablement un service de secours qui a traverse l avenue Malakoff pour aller en direction de St Eugene.
L' OAS avait placé des fusils mitrailleurs sur les terrasses des 2 cotés des maisons face a l’avenue de la Marne pour stopper l avancée des blindés de l’armée de la caserne Pellicier toute proche.
Apres les échanges de tirs, c est maintenant des blindés qui tirent au canon sur des positions de l’OAS, c est assourdissant.
Les détonations violentes provoquent sur mon état physique des spasmes, je me mets a trembler sans pouvoir m’ arrêter, je manque de respiration, j ai la poitrine qui va exploser.
Ma mère me demande d’aller voir Madame Benniacar qui habite au 3 eme étage : peut être que tout ce fracas y sera plus supportable.
Je monte, elle accepte, nous allons donc rester chez elle jusqu’à la tombée de la nuit.
Monsieur Benniacar a gardé les persiennes entre- ouvertes et c est allongé sur le sol qu’ il peut être témoin du spectacle, trois étages plus bas.
Un groupe de l’OAS est encore a la fourche de l’ avenue Durando et de l’ avenue de la Bouzarea. C est Sauveur P... qui commande le groupe armé, il joue dans une equipe de foot.
Nous sommes réunis dans la salle a manger de madame Benniacar. Coté cour, en bas, il y a l atelier du menuisier, son employé s appelle Gilbert.
La fenêtre de madame Benniacar donne juste en face de la cuisine de Martoune.
Depuis un bon 1/4 d heure, on entend des rafales de mitraillettes qui partent de la terrasse de la maison d’ à coté, juste au dessus de nous L’entrée est au 2 rue Cavelier de la Salle.
Monsieur Benniacar se penche du balcon de sa salle a manger, c est monsieur AB.... qui tire.
'' ..ah c est toi qui est en haut, ''
Et AB.... qui lui dit '' si cela te dit viens avec moi.? ''
Monsieur Benniacar restera avec nous.
En face, il y a mon copain au 4 eme étage, qui crie aux groupes qui sont dans les environs de la rue Rochambeau, l’ avance des militaires de 2 gol.
Soudain, on entend une rafale qui part de la rue Montaigne pour s écraser sur la façade du balcon de X...., il a eu juste le temps de rentrer chez lui, il aurait été fusillé sur le coup.
Des appels sont lancés par haut parleur : '' habitants de Bab el Oued, ne restez pas près des fenêtres, éloignez vous..''
Les combats avancent en profondeur vers le cœur du quartier, le marché de Bab El Oued.
La nuit s installe peu a peu. Nous redescendons au 1 er étage ; nous avons décidé de dormir avec tout le monde au fond de notre maison avec des matelas par terre, dans la chambre et dans la cuisine.
Ce matin, 24 mars 1962, les habitants de Bab el Oued se réveillent d’un cauchemar inimaginable voila seulement 48 heures.
Le quartier ressemble à Budapest.
Des câbles électriques sont coupés et jonchent sur la chaussée, certains immeubles n’ ont plus d électricité.
Dans la maison de mon copain Jean Louis, 16 avenue de la Bouzarea, ils ont lancé une rallonge électrique vers leurs voisins d’ en face, pour leur donner du courant afin d’ alimenter les frigidaires remplis de victuailles.
Je descends et je vais vers l immeuble du numero 18 ou il y a 2 entrées et ou mon copain J C PILATO habite, il y a un trou dans la façade du numéro 18 B et des tas d’impacts de balles, des voitures stationnées depuis la veille des deux cotés de l avenue de la bouzarea, sont écrasées par les chars de l’ armée de 2 gol, juste devant le garage de monsieur Elkaim.
Soudain du cote du jardin Guillemin, des nouveaux tirs de mitraillettes. Lles curieux qui commencent a descendre de leurs appartements se refugient rapidement a nouveau chez eux.
Des véhicules militaires circulent dans l avenue, ils annoncent le couvre feux, tout le monde doit rester chez lui, ils demandent que les morts et les blessés soient signalés, des ambulances de la croix rouge circulent en silence pour évacuer des personnes.
Dans la maison de mon copain Amade au numéro 20, il y a eu un mort, il a pris une balle en pleine tète, il regardait a travers ses persiennes les combats de rue, il habitait au premier étage.
Devant notre immeuble, il y a un paquet de chiffons, un militaire le ramasse, c est un pantalon kaki tout coupé en lamelles.
Une voiture passe et fait une nouvelle annonce : les habitants sont autorises demain matin à récupérer du pain et cela pendant 1 heure seulement.
Quelques personnes sont a leur balcon, il est interdit aux hommes de circuler dans les rues.
Aujourd hui 26 mars 1962.
Hier c’était le commencement de la fin.
Le quartier de Bab el Oued a été entièrement bouclé.
A partir de la fin de l avenue de la Marne, pour emprunter l avenue de la Bouzaréa et cela en remontant Vers la cite des Eucalyptus a gauche et en descendant vers l’ avenue Boreli la Sapie et Padovani a droite, le quartier et entièrement confiné par l’armée de 2 gol.
Cela va jusqu a St Eugene par le bord de mer et vers la carrière Jobert et l avenue du frais Vallon et le cimetiere d El Kettar pour aller vers Bouzarea.
L armée a placé des chevaux de frise, elle ne laisse entrer que les véhicule de la croix rouge pour évacuer les morts et diriger les blesses vers l hôpital de Mustapha.
Depuis ce matin, les gardes mobiles montent dans chaque maison pour fouiller chaque appartement. Ils veulent récupérer des armes abandonnées par l’ OAS.
Pour ce faire, ils ont commencé par l aile droite de mon avenue, les numéros impairs.
Arrivés au numéro 11, il y a la famille Kadji, c’ est une famille nombreuse de 5 ou 6 enfants. Je connais une fille, Jacqueline ; elle a une plus grande sœur, son frère est copain avec mon frère.
Il y a aussi Jacques Stora, les Patou, mon copain Loufrani.
Les gardes mobiles font descendre tous les hommes adultes depuis le numéro 1 de l’avenue de la Bouzaréa. Il y a des GMC qui sont rangés le long du trottoir, les hommes montent un a un.
Devant notre porte il y a un paquet de linge, un militaire le défait, c est un vêtement kaki, il est découpe tout en lamelles. Il est bon à jeter aux ordures.
Une fois les camions remplis, ils repartent par l’avenue Durando pour un regroupement massif en direction le camp du Lido à 200 km du littoral.
Monsieur et madame Kadji sortent de leur immeuble, main dans la main. Madame Kadji demande a un officier des gardes mobiles de laisser son mari chez lui, il n a jamais fait de mal, elle crie, elle pleure, rien n’y fait : il doit être enlevé comme tous ses autres voisins.
Kadji, c est un costaud, petit de taille, il a un atelier d imprimerie dans la cave de sa maison. Il a fait de la boxe quand il était jeune.
Le camion est rempli, le top départ est donné. Madame Kadji s’accroche toujours a son mari, elle refuse de lui lacher la main.
On sent une gène de son mari.
Le camion démarre, elle s accroché à la ridelle arrière, courre avec le camion pendant une vingtaine de mètres, distance entre sa maison et la notre, elle pleure toujours, certains témoins n'ont peut être pas compris cette dure séparation.
Une vraie séquence de la Strada, La Ciociara....!!!!! Pauvre madame Kadji.
Ce matin, à nouveau, les gardes mobiles font leur sale boulot : une heure aux femmes pour faire leurs courses, aucun homme ne doit circuler sur la route.
Ma mère et ma sœur sont parties au jardin Guillemin, ma sœur ainée est venue les voir de l’autre coté des chevaux de frise, coté avenue de la Marne, elle tient son fils de 2 mois dans ses bras, elle pleure.
On a lance des appels, il faut ravitailler les habitants de Bab el Oued. Tous les circuits alimentaires sont bloqués. On leur fait passer des quantités de pains, conserves. Au grand magasin alimentaire de l’avenue de la Bouzarea, Monoprix, des personnes ont cassé l’entrée des vitres et dévalisé tous les rayons.
C est une véritable razzia.
Autour de ma maison il y a 4 boulangeries.
Au numero 9, c est la boulangerie de Blasco, en face c est Muller ''La Parisienne '' Un peu plus loin, en face de Discophone, à cote de Roma Glace c est la boulangerie de mon copain Vidal.
Derrière, dans la rue Cavelier de La Salle prolongée, en traversant la rue Montaigne pour aller à la rue Livingston, il y a la boulangerie d un copain du quartier de la rue Estoublon. C est la seule qui pourra tenir un peu plus. Les autres n’ ayant plus de farine , il faudra y aller assez tôt pour ne pas être obligé d attendre des heures pour obtenir 4 pains par personne.
Depuis le début de vendredi, les ordures ne sont plus ramassées et s’amoncellent devant chaque entrée de maison.
On lance un appel ; il faut faire bruler les ordures sinon on va être infestés de rats. En effet, même si ils ne sont pas nombreux ,ils sont là et ils passent avec une vitesse incroyable d’ un tas d ordures à l’autre.
Le quartier est mitoyen avec le cassour, 200 metres vers la mer et les égouts du boulevard Pitolet, juste avant St Eugene, ne sont pas tellement loin.
Des échos viennent a nous en debut d après midi selon lesquels on a lancé un appel à la population d Alger afin de se rassembler a la Grande Poste pour aller délivrer la population de Bab el Oued.
C est mon copain Jean Louis Levy de son balcon qui me crie : '' Lucien, ca tire a la Grande Poste ??? ''
Les infos sont censurées mais le téléphone arabe circule très bien à Bab el Oued.
C est l horreur, des soldats de l armée française ont tire sur une population française et sans défense et de surplus dans le dos...
UN MASSACRE...!!!!!!
Beaucoup d’algérois seront traumatises par ces moments atroces.
Voila une armée qui nous avait protégés contre les attentats sanglants du FLN et maintenant qui assassine sa propre population.
L armee de 2 gol était devenue l ennemi des pieds noirs d Algérie.
Les pieds noirs marchaient sur leur propre tète..!!!!
Les gardes mobiles sont venus a la maison dans la nuit du 28 au 29 mars 1962.
Ma mère avait préparé une petite valise avec mes affaires à l intérieur et elle l avait rangée à cote de notre porte d entrée.
Des coups sont frappes contre notre porte d entrée : ''...Ouvrez c est la police..''
Tout le monde se lève, les gardes mobiles rentrent. Ils sont bien 5 dans notre petit trois pièces. Ils posent des questions a mes parents, tous les meubles et les placards sont fouillés et il faudra tout ranger une fois qu’ils seront partis. D’autres gardes mobiles montent en même temps aux étages supérieurs.
Chez le voisin, pas de réponse.
Ma mère leur dit qu il n y a personne, c est le cabinet du docteur Bacri.
Je reste donc chez moi.
Au matin, le bouclage est levé, des voitures recommencent a circuler, ce sera le commencement de la fin.....
Lulu de Bab el Oued
(1) Stroumgas : Explosions de bombes au plastic de l’OAS
(2) Moutchous : Epiciers d'origine Mozabite
Commentaires (3)
- 1. | 10/11/2020
- 2. | 27/03/2020
Et oui, on n a rien oublie.
Alors ecrivez, vous aussi, qui lisez ce temoignage authentique, cela ne peut que relever a la surface, les horreurs que les pieds noirs ont vecu, aux derniers moments de l Algerie encore francaise.
- 3. | 26/03/2020
Moi, je rentre de Paris le 23 Mars 1962 ou j 'ai passé un concours interne à Air France ;;; Je l'ai reussi et je suis nommé cadre à Orly ; on me dit allez recuperer votre famille à Alger ,prise de fonction immediate; J'habite rue Christophe Collomb et malheureusement je ne peux pas entrer à Bab El Oued bouclé par les barbelés ; je vais chez ma soeur ainée qui habite au debut de la rue Borely la Sapie (c'est la veuve d'Alfred Oukrat magasin RICHARDSON abattu à Belcourt en Aout 61) et j'y reste jusqu'au 28 Mars ,jour ou ils enlevent les barbelés
Le 29 Mars, je recupére mon epouse et mes 2 enfants (6ans et 4ans) ; je laisse les clés de ma Dauphine et celles de mon appartement à mes beaux parents;et je monte à Maison Blanche prendre l'avion pour PARIS ou j'atteris dans un hotel de passe prés de La Republique....
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Date de dernière mise à jour : 26/03/2020
dans le cadre d'un projet documentaire, je cherche à entrer en contact avec Monsieur Lucien Gozlan.
Pourriez-vous m'aider?
je vous remercie par avance.
Bien cordialement,
Constance