Une enfance dans la guerre Algerie 1954-1962

par   Leila Sebbar Éditions Bleu Autour, 2016,

Une enfance dans la guerre algerie 1954 1967

 

 

Un nouvel ouvrage sur la guerre d’Algérie vient de paraître : Une enfance dans la guerre – Algérie 1954-1962 (Éditions Bleu Autour, 2016, 296 p., 26 €). En quarante-quatre témoignages d’écrivains nés en Algérie entre 1940 et 1950, Leila Sebbar dont on connaît les talents d’anthologiste de l’Algérie et de la Méditerranée (Une enfance algérienne, Une enfance juive en Méditerranée musulmane, L’enfance des Français d’Algérie…) recense, dans « ce livre douloureux », les émotions premières et les traumatismes qui ont marqué toute une génération d’enfants ou d’adolescents confrontés à une guerre qui ne disait pas son nom ; tous l’attestent : on parlait seulement d’ « événements » ou de « maintien de l’ordre ».

Et pourtant que de centaines de milliers de morts ! La mort est la seule chose – l’obsession − commune qui apparaît dans chacun de ces récits : l’un – Alain Amato, le Constantinois – voit de ses yeux son petit voisin Gérard Laloum tué par une grenade et conclut : « la réalité vient de pulvériser mes rêveries » ; et il perçoit, dans le hurlement de la mère qui vient de perdre son fils, « le glas de son enfance ». Tandis que de l’autre côté du pays, Simone Molina revit cette explosion à Alger qui l’ensevelit sous les gravats : « Que faire de la poussière dans la bouche, de l’espoir qui s’amenuise… ? ». Pour Monique Ayoun, c’est la mort de son oncle Charles − tout comme l’oncle de Joëlle Bahloul, la sociologue, pour qui « les lignes de séparation et d’animosité demeuraient floues » −, assassiné d’une balle dans la nuque, qui détruit « l’équilibre du jour » (selon la phrase de Camus) et abolit le bonheur. Ce même bonheur vécu dans le Sud, à Djelfa, par Danièle Iancu-Agou[1], vole en éclats le jour où son oncle aussi est assassiné : c’était le grand-rabbin de la communauté de Médéa, et elle rapporte, à partir de ce drame familial, les nombreuses exactions commises, déjà, contre les juifs : les sept morts de Nedroma, la bombe contre la synagogue de Boghari, la grenade dans la synagogue de Bou-Saada… À l’autre bout, bien sûr, l’assassinat en 1961 à Constantine de la vedette de la musique orientale, Cheikh Raymond Leyris, le beau-père d’Enrico Macias, meurtre qui précipita l’exode des Juifs de cette ville dont ils étaient probablement les plus anciens locataires. Ce à quoi répond le témoignage de Patrick Chemla, à qui les copains du FLN de son frère avaient fait comprendre « qu’il n’y aurait pas d’avenir pour les juifs en Algérie ». En vérité, dans ce pays où la France livrait une guerre meurtrière avec pour victimes des dizaines de milliers de jeunes Français et des centaines de milliers d’Algériens, où le FLN  venait d’exterminer son rival, le MNA, sur cette terre où bientôt l‘OAS allait livrer un combat sans merci contre ceux qu’on appelait « les rebelles », puis à l’Indépendance la persécution des harkis, ces soldats perdus de la République Algérienne Démocratique et Populaire, en attendant la très meurtrière guerre civile de 1992, la place, la marge, était des plus étroites. Algérie : histoires à ne pas dire (2007), l’excellent film de Jean-Pierre Lledó, qui vit désormais à Jaffa, apportera d’utiles lumières et d’émouvants témoignages sur cette déchirure et ces déchirements.

Mayssa Bey, dont la famille est atteinte dans sa chair, découvre au matin dans une rue de Belcourt, enfant terrifiée, « les corps ensanglantés qu’on évacue en toute hâte ». Jacqueline Brenot constate, dans son désespoir et sa haine nouvelle pour « l’engeance humaine » : « Le paradis bleu et or a vacillé dans une immense flaque rouge ». De même Jean-Pierre Castellani a « le sentiment d’un immense gâchis ». Quant à Daniel Mesguich, qui revit la tragédie de sa voisine dont les deux enfants ont été égorgés par cette jeune femme de ménage, que l’OAS ensuite retrouvera pour la pendre, lui, l’acteur, en reste sans voix et ne sait que dire : « L’Algérie en moi n’est qu’un grand trou ». Mehdi Charef est horrifié par le crime contre sa tante pendue aux poutres de son « gourbi », et plus encore horrifié par les hurlements de sa « folle de mère » ; lui aussi s’exilera en 1962, à l’Indépendance, et ce sera pour produire ce beau film mélancolique Le Thé au harem d’Archimède  (1985). Français, arabes, chrétiens et juifs, pas de partage : chacun compte ses morts. Il arrive aussi que la victime soit au milieu des clans : Nora Aceval, dont le père est fermier espagnol et la mère musulmane, vit la fracture et la haine en elle-même : « Nos deux moitiés étaient en guerre », écrit-elle, pathétique, ce qui nous fait penser au roman emblématique de Claude Kayat, Mohammed Cohen (1981) qui relate l’ « impossible histoire d’amour entre un juif et une arabe ». Quant à Jean Lenzini, son visage brun et ses cheveux frisés le font prendre pour un arabe, mais c’est quand même un attentat du FLN qui fait couler le sang sur sa cuisse, et lui fait dire que cette « odeur de la mort » il la portera sur lui sa vie durant. Alors que la mémoire de Mohamed Kacimi est hantée par « les cadavres de l’Indépendance », Karima Berger, dans un texte très fort, Entre frères, évoque la tragédie des M’tourni, les harkis, et cette « cabale arabe pour Arabes » en concluant : « Exit les Français ! Ils étaient déjà sortis de nos têtes, plus que nous pour nous haïr ». Nul barrage, jamais, contre la haine.

On ne peut parler de tous, car tous ces écrits sont convergents et d’une rare efficacité d’écriture ; ils portent témoignage sur ce que Leïla Sebbar appelle « l’inconnu de la guerre », et ce que, dans sa préface, Jean-Marie Borzeix résume ainsi : « Libérer d’anciennes confidences, confier des secrets conservés dans l’épaisseur du temps et déjà presque oubliés, réveiller des perspicacités, des lucidités qui sont propres à l’enfance ». Par-delà l’Indépendance, il y a cette guerre civile des années 90 qui va jeter à la mer nombre d’Algériens, rejoignant ainsi dans un même bannissement le million de pieds-noirs. « Pourquoi chez nous une telle aberration », interroge Mourad Yellès, « à quel moment de notre histoire avons-nous bien pu dérailler. » Laissons à Alain Vircondelet, l’auteur de Albert Camus, fils d’Alger, le soin de conclure, penché au bateau de son exil, sur cette « guerre interminable avec pour champ de bataille la mémoire intacte de la terre natale, sa perte et l’impossible retour ». Et pourtant, confie Anne-Marie Langlois, « le bonheur semblait infini »… Fallait-il vraiment « fuir le bonheur de peur qu’il ne se sauve », comme l’a écrit Serge Gainsbourg ? L’Algérie sous la guerre, dans un tel livre, apparaît comme le sauve-qui-peut général et l’infini désastre pour ceux qui croyaient au ciel et ceux qui n’y croyaient pas, pour ceux qui étaient ici et ceux qui étaient là-bas.

Albert Bensoussan

Source : http://www.terredisrael.com/infos/albert-bensoussan-guerre-dalgerie-gachis/#more-86757

[1] Son frère, qui fit son alya en 1958 et prit le nom de Shimon Agour, fut diplomate et ambassadeur d’Israël en Amérique latine et en Afrique noire (Djelfa 1933 – Jérusalem 1996).

Lire l'interview de Leila Sebbar dans  LE POINT à propos de son livre : http://afrique.lepoint.fr/culture/leila-sebbar-ce-livre-oblige-a-reflechir-a-l-impense-de-la-colonisation-31-07-2016-2058272_2256.php

Commentaires (5)

Julien
  • 1. Julien | 19/01/2019
Bonjour Slimane,
Je n'ai pas de mail de votre part, est ce que vous pouvez me donner votre adresse email?
Merci beaucoup!
slimane nédroma
  • 2. slimane nédroma | 07/01/2018
bonjour julien...primos je souhaite un bon rétablissement de santé à ta grand mère...je vous informe qu'evectivement une partie du cimetière exsiste encore à ce jour les tombes de tes ancetres exsistent aussi pour les photos je fais mon possible prochainement pour les envoyer pour le moment je suis en déplacement .on reste en contact...esque e mail joint au premiere annonce de madame benhammou benayoun est toujours valide (isaacbenayoun@sfr.fr)parceque je vous ai envoyé une photo du cimetiere le13/11/2017 à bientot et bon courage et bonne santé à ta grand mère
Julien
  • 3. Julien | 27/12/2017
Bonjour Slimane
Cette information me fait chaud au coeur
Je suis l arrière petit fils de Isaac Haziza et je suis très touché d'apprendre que les tombes sont toujours là.
Je vous serais extremement reconnaissant de m'en parler davantage. Cela fera beaucoup de bien à Ma grand mère hospitalisée d'apprendre que les tombes ont été conservées.
Auriez vous des photos?
Vous pouvez m'écrire
Je vous remercie infiniment slimane
slimane nédroma
  • 4. slimane nédroma | 10/11/2017
madame Benayoun bonjour effectivement une partie du cimetiere existe encore il est ecrit sur queques tombes HAZIZA décédé le 30NOVEMBRE 1956 né en 1901et cette meme date est écrite aussi sur trois tombes à coté je pense que c'est utile cette information bonne chance
Benhamou    epouse benayoun
  • 5. Benhamou epouse benayoun | 21/10/2017
Suite a l'article de Leila Sebbar( les sept morts de Nedroma).sont,
Mon pere, ma mere,mes deux soeurs,mon frere,mon oncle,un ami de la famille.
Je suis la seule rescapee.J'avais quatorze ans.
Je n'est pas assistee a l'enterrement.
Je ne sait pas ou ils sont enterres dans le cimetiere juif de Nedroma.
Je n'es pas de photo de leur tombe.
Existe t-il encore le cimetière?
Merci pour les renseignememts que je pourrait obtenir

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Date de dernière mise à jour : 06/08/2016