Une histoire ordinaire en Algerie française

" UNE HISTOIRE ORDINAIRE EN ALGERIE FRANCAISE" par Patrick Benichou

Je me souviens de 1962, notre dernière année passée en Algérie française.A l’école Jules Ferry, notre maîtresse, Madame Lucie Lasry nous avait dit :
« Les enfants, apprenez bien vos leçons et n’oubliez pas chaque jour de faire vos devoirs à la maison ; ainsi plus tard, vous aurez une bonne situation ! »
Nous, les enfants aux petits tabliers gris avec leurs noms écrits dessus, c’est surtout le moment de la récréation que nous attendions chaque jour, avec impatience !

Entre garçons et filles, on jouait dans la cour arborée, à chat perché, à la marelle et aux noyaux d’abricots. Il ne fallait pas oublier son petit sac de toile.
Comme on s’entendait bien, surtout avec Anne, Gérard, Michelle et David ! On partageait quelquefois nos goûters, on échangeait des images, on rigolait pour un rien.
Comme la vie est belle quand on y met du sien !.

Après le goûter, il y avait la leçon de morale et on y apprenait les règles de la vie en famille, en société, avec des amis, à partir de textes commentés et des fables de Lafontaine.
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Un matin, au mois de juin, notre Maîtresse Lucie, était très pâle, Avant de faire l’appel, elle voulait nous parler de quelque chose d’important. Il y eut quatre secondes de silence, puis des mots sortirent de sa gorge serrée, des paroles prononcées à voix basse, ;la maîtresse voulait obtenir toute notre attention ! :
« Les enfants, je voulais que vous le sachiez, votre camarade Michelle ne viendra plus à l’école… »
Il y eut soudain de l’agitation dans la classe ; l
des élèves se levèrent et demandèrent :

« Pourquoi maîtresse, elle a fait quelque chose de mal ?
Ou alors elle est malade ?
Quand reviendra- t- elle ?»
Maitresse Lucie a répondu : « Les enfants, vous savez, c’est la guerre ici en Algérie, vos parents ont du vous en parler !

" Hier matin, une bombe cachée dans un panier a explosé au marché ; Michelle accompagnait sa mère à ce moment- là, elles ont été très grièvement blessées …'(silence) alors elle ne reviendra pas........ »

« Moi j’avais compris, je n’écoutais plus .. Michelle était ma grande amie, presque ma petite sœur, presqu’une princesse de cœur. En classe quand nos regards parfois se croisaient, on se souriait. A la récréation, on se tenait souvent par la main, en cachette dans le préau…Je crois que l’on s’aimait bien comme en sont capables les bambins »

Elle m’avait dit un jour en confidence : « Tu sais Patrick,, toi et moi, on sera amis pour la vie et quand nous serons grands nous ferons….... »
« Oui, je m’en souviens, mais maintenant cette sale bombe au marché a détruit à jamais sa vie, nos promesses et notre belle amitié.
Michelle ne pourra plus grandir, elle ne viendra plus jouer à la marelle avec nous, je ne verrai plus ses beaux cheveux longs sur ses épaules, ses yeux pétillant de malice, je n’entendrai plus ses paroles et ses fous rires ».
Michelle ne demandait qu’à vivre, mais des barbares ont brisé sa vie.!

Plus de soixante années sont passées et tellement d’enfants, de parents ont depuis lors été assassinés : à l’école, à l’épicerie, dans leur voiture, dans un autobus sur une route, au cinéma ou au supermarché.....
Le monde n’a pas vraiment changé, il y a toujours des assassins, des terroristes, des antijuifsde tous bords qui veulent nous effrayer, nous déraciner, nous éradiquer de la surface de la terre.

Un beau soir d’été, le ciel était couvert d’un majestueux manteau étoilé et ma fille qui avait alors douze ans m’a demandé :
« Papa, pourquoi tes yeux sont mouillés ? Tu as pleuré ? »

Je lui ai répondu : « Ma chérie, connais tu le nom de cette étoile plus étincelante que les autres, là-haut dans le ciel ?
Elle m’a dit : « Je crois que c’est l’étoile du Nord »

Je lui ai répondu : « Non, cette étoile, c’est une petite fille brillante comme toi qui se nommait Michelle. Elle habite depuis longtemps dans un coin de ma mémoire.

Cette étoile que tu vois dans le ciel a disparu depuis des années, et pourtant nous recevons toujours sa belle lumière si intense.
Ma fille a dit : « Tu as de la peine papa ?… »
Je l’ai embrassée et lui ai dit :

« Oui, c’est vrai, j’ai de la peine et je ressens également encore de la colère, je revois en fermant les yeux Michelle avec ses bras frêles, son sourire d’enfant, son innocence, sa robe de dentelles. Nous étions des amis et elle était si jeune, si vive et si belle !.
Des terroristes lui ont volé sa vie …C’était une histoire ordinaire en Algérie française et bientôt, tout serait fini. Nous serons partis en Métropole , laissant tout derrière nous,pour sauver nos vies.;;;;

Tu sais ma chérie, ce jour- là, je suis devenu un « petit homme » ; je n’avais alors que 8 ans , mais je n’avais plus envie de sourire. Mon enfance a fui à toute vitesse.J’ai écrit à la craie sur notre balcon de larue de France : « Adieu belle maison ! » J’avais compris qu’on devrait partir et ne plus jamais revenir sur cette terre !
Je pensais alors naïvement que ces meurtres, que ces attentats allaient finir avec le temps, avec la force et l’intelligence de l’humanité, mais je me suis totalement trompé !
La haine viscérale et la barbarie terroriste se sont installées dans le monde et l’ont abimé, comme la rouille dévore les poutres de fer ! Des Michelle, il y en a eu tellement depuis ! Combien de temps devrons nous attendre encore pour que l’on puisse vivre et grandir en paix et dans la sérénité ?

Dans mes rêves, il y a parfois ce petit garçon au teint clair, portant une chemise à carreaux et qui pose cette question à Michelle : "Combien de temps encore ?

Elle sourit et répond : « Un jour, nous serons des amis pour la vie, dans une autre galaxie, très loin d’ici… ».
PB

Une histoire ordinaire en algerie francaise

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Date de dernière mise à jour : 27/03/2019