La fin d’un monde : les Juifs Séfarades, III- De la Libye au Yémen

La fin d’un monde : les Juifs Séfarades, III- De la Libye au Yémen

Survivants juifs du camps de bergen belsen retournant en libye 1945

Une photo prise en 1945 montrant des survivants de l’Holocauste retournant en Libye du camp de concentration de Bergen-Belsen après le « holocauste des Juifs libyens »

Par Paul David  (14 décembre 2016)

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Dans le chapitre précédent, nous nous sommes intéressé au Maghreb.

Dans le présent article, la disparition des communautés juives des autres pays à majorité musulmane du moyen-orient sont évoqués.

Pour répondre à des premières réactions à cet article, je rappelle que j’englobe volontairement par abus de langage dans le terme séfarade tous les communautés juives d’orient vivant dans des pays à majorité musulmane. Pour en comprendre la raison, se référer au premier article de cette série: « préambule » (lien directe en fin d’article).

Libye

 

La communauté[1] juive de Libye comptait plus de 38 000 Juifs en 1948 et 36 000 d’entre eux émigrèrent vers Israël peu après la création de l’État hébreu, lorsque la situation de cette communauté devint des plus précaires. Le reste d’entre eux quittèrent eux aussi la Libye, et émigrèrent surtout vers l’Italie.

Decret de la communaute politeuma des juifs de berenike benghazi en l honneur de marcus titius fils de sextus le 25 du

Décret de la communauté (politeuma) des Juifs de Bérénikè (Benghazi) en l’honneur de Marcus Titius, fils de Sextus, le 25 du mois de Phaôph.

 

Inscription de hadrien aux thermes de cyrene Inscription de Hadrien aux thermes de Cyrène (Libye) sur les reconstructions faisant suite aux destructions subies lors de la révolte juive

 

Kadhafi arrivé au pouvoir en 1969, déclara la confiscation officielle de tous les biens juifs – privés et communautaires – et annonça qu’il n’y aurait pas de recours pour obtenir de dédommagements de la part des autorités libyennes.

Communautes juives empire ottoman 768x637

Les communautés juives dans la région méditerranéenne de l’Est pendant la domination ottomane

La Libye qui n’était qu’une petite province de l’empire Ottoman devint un état artificiellement après la Seconde Guerre mondiale en s’appliquant à se débarrasser des non musulmans pourtant ancrés dans la région depuis des siècles :

La slat abn shaif synagogue zliten libye

La Slat Abn Shaif Synagogue, Zliten, Libye.
Complément issu de wikipedia: La synagogue Bouchaïf de Zliten (ici au XXe siècle) est selon la tradition juive libyenne, vieille de plus de 800 ans. Durant la période ottomane, elle devient un centre d’étude du Zohar, et la synagogue la plus renommée de la Tripolitaine.

 

Entre 1551 et 1911[2], la Libye faisait partie de l’Empire turc ; entre 1911 et 1943 ce fut une colonie italienne ; de 1943 à 1952 elle fut placée sous administration militaire

britannique et depuis 1952, la Libye est un État indépendant. […]

  • Le roi Idris (de 1951 à 1969) – en dépit de ses promesses officielles et de son engagement à protéger la communauté juive – n’avait aucune influence sur le gouvernement libyen, lequel promulguait régulièrement des lois spéciales restreignant les activités commerciales des Juifs. Les Juifs ne purent obtenir la citoyenneté libyenne et les droits civils les plus élémentaires.

La population de la Libye est aujourd’hui (2011) à 97 %[3] musulmane

Juives mere et fille en habit traditionnel de tripoli

Juives (mère et fille) en habit traditionnel de Tripoli.

 

Salle de classe juive libyenne dans la synagogue de benghaz Salle de classe juive libyenne dans la synagogue de Benghazi, Benghazi, Libye.

Égypte

On peut clore l’Afrique par l’Égypte parmi les pays à majorité musulmane qui possédait une forte population juive avant guerre :

Synagogue abbasyia le caire

Synagogue Abbasyia, Le Caire

Pour les Juifs[4] d’Égypte, la guerre du Sinaï (1957) marque la fin d’un monde. Les mesures prises en réaction à la « Triple et lâche agression » frappent en premier lieu lesFrançais et les Britanniques : les ressortissants des deux colonies sont expulsés d’Égypte et leurs biens et avoir confisqués. On compte parmi eux un certain nombre de juifs. Mais ces mesures de rétorsion touchent de la même façon les « Juifs du Nil » : quelque 460 entreprises appartenant à des Juifs sont confisquées et placées sous séquestre, un millier d’entre eux sont internés dès le début de la guerre. Ce sont pour moitié des ressortissants de ces anciennes puissances capitulaires, l’autre moitié étant constituée de citoyens égyptiens brutalement suspects d’activité sioniste. Les expulsions directes, qui frappent en outre 600 Juifs apatrides, cessent dès la mi-novembre pour céder la place à des formes de pression plus ou moins officielles, mais tout aussi efficaces. Un décret présidentiel de novembre prévoit la déchéance de la nationalité égyptienne pour toute personne reconnue sioniste. Un véritable mouvement de panique se déclenche, alimenté par la presse, la rumeur, et les tracasseries teintées de prévarication de l’administration ou de la police. Plus de 20 000 juifs quittent l’Égypte au cours de l’année 1957, laissant derrière eux la plupart de leurs biens et un patrimoine immobilier important. Comme cela s’était produit en Irak, les titulaires d’un passeport égyptien sont pressés de signer, à leur passage à la frontière, un document de renonciation à leur nationalité. […] À la veille de la guerre de 1967, on estime à un peu plus de 8000 le nombre de juifs demeurés dans le pays. Ils ne seront plus que quelques centaines après la crise.

Alexandrie filles juives pendant la bat mitzvah

Alexandrie, filles juives pendant la Bat Mitzvah.

On peut[5] entrevoir les sentiments des Juifs égyptiens en lisant une lettre adressée à l’éditeur du journal Akhir Sa’a, traduite en français et publiée dans une revue de presse dans « La Bourse Égyptienne » du 22 juillet 1948 :

  • « Il semblerait que la plupart des gens en Égypte ne savent pas que certains musulmans égyptiens ont la peau blanche. Chaque fois que je monte dans un bus, les gens pointent du doigt en disant « Juif ! Juif ! » On m’a battu plus d’une fois à cause de cela. C’est pourquoi je demande très humblement que vous publiiez ma photo en expliquant que je ne suis pas juif et que mon nom est Adham Mustafa Galeb ».

La présence plus que deux fois millénaire des Juifs en Égypte se clôt. La population de l’Égypte est aujourd’hui (2011) à 95 %[6] musulmane. Pour les 5 % restant – la communauté chrétienne copte – l’actualité montre que leur présence est assez précaire.

Facade de la synagogue de moise maimonide

Façade de la synagogue de Moïse Maimonide (Moïse ben-Maimon) avant sa rénovation en 2010, quartier juif, el-Muski, Le Caire, Égypte

Irak

Tombeau des victimes du farhud 1941

Tombeau des victimes du Farhud, 1941.

Pour le Moyen-Orient, on peut s’intéresser déjà à l’Irak, ou on a déjà vu qu’un pogrom avait été organisé pendant la Seconde Guerre mondiale à défaut d’une application plus stricte de la solution finale.

Sous couvert de conflit avec Israël, l’Irak organise la spoliation des Juifs d’Irak et leur transformation progressive en paria, les poussant, y compris ceux qui se sentaient profondément irakiens ou sans attache avec Israël à prendre la route de l’exil et dans le même temps d’être contraint de perdre la nationalité irakienne :

Ecole des filles de l alliance israelite universelle a bagdad

École des filles de l’Alliance Israélite Universelle, à Bagdad.

  • Les conditions[7] de vie des Juifs d’Irak se dégradèrent rapidement après la création de l’État d’Israël. […] Les Juifs furent, à partir de 1948, victimes de toute une série de mesures discriminatoires de caractère économique. Sous le couvert de lois présentées comme générales, les autorités entreprirent de détruire les sources de revenus des Juifs d’Irak. […] Des centaines de Juifs furent licenciés des services publics irakiens et le gouvernement irakien imposa à de nombreuses compagnies étrangères le licenciement de leurs employés juifs (peut-être plus de 1500 au total). À partir de septembre 1948, les Juifs furent exclus de toute occupation ayant un rapport quelconque avec l’import-export et interdits de contracter des contrats publics quels qu’ils soient.
  • En mars 1950, dans un contexte de crise économique et d’inflation galopante, le gouvernement irakien décida d’autoriser le départ/l’émigration des Juifs d’Irak, et ce par le biais d’une loi « portant déchéance de la citoyenneté irakienne » devant s’appliquer à tout Juif qui demanderait à émigrer vers Israël. […]
  • La situation économico-financière des Juifs d’Irak empira encore avec le vote par le Parlement irakien de la loi du 10 mars 1951 gelant les biens juifs irakiens. […] La même loi autorisa la fermeture et la séquestration de tous les magasins et entrepôts par les populations locales. En outre, les autorités ne firent rien pour éviter le pillage systématique de ces mêmes magasins et entrepôts par les populations locales. […]
  • Le choc et le désespoir des Juifs qui furent la conséquence de ces mesures poussèrent nombre d’entre eux à vendre leurs biens les plus chers à n’importe quel prix.

Grande synagogue de bagdad

Grande synagogue de Bagdad

La population de l’Irak est aujourd’hui (2011) à 99 %[8] musulmane. L’actualité montre que le 1 % restant risque d’avoir beaucoup de mal à survivre en Irak, cette ancienne province de l’empire Ottoman.

Tombe d ezechiel a kifel

tombe d’Ezéchiel à Kifel. La zone était habitée par les Juifs irakiens qui apparaissent sur la photo.

La famille de joseph a bagdad en irak

La famille de Joseph à Bagdad en Irak avant 1924

 

Syrie

Une famille juive a damas representee dans leur ancienne demeure damascene en syrie ottomane

Une famille juive à Damas, représentée dans leur ancienne demeure damascène, en Syrie ottomane, 1901 ou 1910.

 

Autre pays du Moyen Orient qui possédait une forte communauté juive avant guerre et dont la présence et plus de deux fois millénaires, la Syrie :

  • En 1943[9], quelque 30 000 Juifs habitaient la Syrie, la plus grande communauté étant celle d’Alep, avec 17 000 Juifs, suivie de près par la communauté de Damas, avec 10 000 Juifs environ. […]
  • La situation des Juifs syriens empira de manière significative à la suite de la création de l’État d’Israël. Le surlendemain de la décision de séparer la Palestine en deux États, la ville d’Alep fut la scène d’un pogrom important pendant lequel de nombreux Juifs furent tués ou blessés et de nombreuses synagogues, habitations et magasins juifs détruits. Au-delà des manifestations de violence spontanée, le mois de décembre 1947 vit l’adoption de quantité de mesures officielles gouvernementales à l’encontre des Juifs qui rendirent le quotidien de ceux-ci de plus en plus précaire. […]
  •  

Ruines de la grande synagogue d alep en 1947

Ruines de la grande synagogue d’Alep en 1947.
Complément Wikipédia: Le pogrom d’Alep est une émeute antisémite ayant fait 75 morts dans la communauté juive de la ville d’Alep en Syrie en 1947. Il s’agit d’une des plus violentes attaques contemporaines contre la communauté juive Mizrahim avec le Farhoud de 1941 en Irak et le pogrom d’Aden en 1947. La communauté juive était installée dans la ville depuis deux mille ans et comptait 10 000 membres. En 1853, la communauté avait déjà subi un pogrom.

  • La guerre des Six Jours de juin 1967 et surtout l’arrivée au pouvoir d’Hafez el-Assad en 1970 furent l’occasion d’une grave détérioration des Juifs de Syrie.

Photographie de mariage juif a alep

Photographie de mariage juif à Alep.

Les hommes, les femmes et les enfants sont tous habillés à l’européenne, à l’exception d’un seul membre de la famille de Fès

 

Les témoignages montrent que la vie des Juifs syriens était devenue impossible :

  • La communauté[10] juive de Syrie se trouve constamment placée sous étroite surveillance. […] Une absence d’un jour à l’école de la part d’un élève juif se traduit par une visite immédiate de la police à son domicile. […] La Mukhabarat (police secrète) a un bureau au cœur même du ghetto, et les habitants juifs vivent sous sa menace permanente. […]
  • Les Juifs sont les seuls citoyens de Syrie qui ont leur religion inscrite sur leur passeport et sur leurs pièces d’identité, autrefois en grosses lettres rouges, aujourd’hui en lettre bleues plus petites : « Mussawi » (« juif »).

La population de la Syrie est aujourd’hui (2011) à 93 %[11] musulmane. Pour les 7 % restant, les chrétiens, comme pour l’Égypte et l’Irak, l’avenir est pour le moins incertain  comme le montre le conflit actuel.

S urs et cousine saad

Zeibak .Sœurs et cousine Saad.

Dans le sens des aiguilles d’une montre en partant du haut à gauche: Fara Zeibak, Mazal Zeibak, Eva Saad et Lulu Zeibak.

Ces quatre juives syriennes (trois sœurs et leur cousine) ont été violées, tuées et mutilées en tentant de fuir en Israël en 1974.

Yémen

Juif arabe du yemen

Juif arabe du Yémen

À Aden[12], le 2 décembre 1947, soit trois jours après le vote de partage par l’Assemblée générale des Nations Unies, une violente émeute détruit la grande synagogue et ravage le quartier juif, faisant 82 victimes. Les autorités britanniques du Protectorat improvisent un camp de relogement à la périphérie de la ville, dans lequel s’entassent, au cours de l’année 1948, des centainesde migrants venus du Nord, notamment de Sanaa ou de Dhamar, dans un profond dénuement : un décret de l’imam oblige en effet les candidats à l’émigration à vendre tous leurs biens avant de quitter le pays, et le trajet fournit nombre d’occasions de dépouiller les voyageurs de leurs économies. C’est seulement en septembre 1948 que les Britanniques autorisent un départ massif vers Israël et installent à Aden des camps de transits. La voie maritime étant fermée, un pont aérien baptisé « opération Tapis volant » transfère, en l’espace de quelques mois, près de 50 000 Juifs yéménites, soit les neuf dixièmes de la communauté.

La population du Yémen est aujourd’hui (2011) à 99 %[13] musulmane.

Synagogue magen avraham a aden

Synagogue Magen Avraham à Aden

 

Paul David

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Pour accéder aux articles associés à ce sujet:

Article:
La fin d’un monde : les Juifs Séfarades – I, le statut de dhimmi

Article:
La fin d’un monde : les Juifs Séfarades – II, Maghreb

 

 

[1] « L’exclusion des Juifs des pays arabes ». Chapitre de Jean Marc Liling : « La confiscation des biens juifs en pays arabes ».  (p. 170)

[2] (collectif) « L’exclusion des Juifs des pays arabes ». Témoignage de Lillo Arbid devant le tribunal de Washington. (p. 247 et 250)

[3] http://fr.wikipedia.org/wiki/Nombre_de_musulmans_par_pays

[4] (Collectif Antoine Germa/Benjamin Lellouch/Evelyne Patlagean) : « Les Juifs dans l’histoire ». Chapitre de Frédéric Abécassis et Jean-François Faü: « Le monde musulman : effacement des communautés juives et nouvelles diasporas depuis 1945 ». (p. 823,824).

[5] (collectif) « L’exclusion des Juifs des pays arabes ». Chapitre de Ya Akov Meron.(titre identique à celui du livre)  (p. 123)

[6] http://fr.wikipedia.org/wiki/Nombre_de_musulmans_par_pays

[7] (collectif) « L’exclusion des Juifs des pays arabes ». Chapitre de Jean Marc Liling : « La confiscation des biens juifs en pays arabes ».  (p. 162,163)

[8] http://fr.wikipedia.org/wiki/Nombre_de_musulmans_par_pays

[9] « L’exclusion des Juifs des pays arabes ». Chapitre de Jean Marc Liling : « La confiscation des biens juifs en pays arabes ».  (p. 170 à 172)

[10] (collectif) « L’exclusion des Juifs des pays arabes ». Témoignage d’un juif de Damas. (p. 212,213)

[11] http://fr.wikipedia.org/wiki/Nombre_de_musulmans_par_pays

[12] (Collectif Antoine Germa/Benjamin Lellouch/Evelyne Patlagean) : « Les Juifs dans l’histoire ». Chapitre de Frédéric Abécassis et Jean-François Faü: « Le monde musulman : effacement des communautés juives et nouvelles diasporas depuis 1945 ». (p. 818,819).

[13] http://fr.wikipedia.org/wiki/Nombre_de_musulmans_par_pays

 

 

 

 

 

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Date de dernière mise à jour : 17/12/2016